Chroniques anachroniques - Anti-morosité III : fashion week

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À un moment où l’information fuse de toutes parts, il nous a paru intéressant de l’ancrer dans des textes très anciens, afin que l’actualité et l’histoire se miroitent et s’éclairent dans un regard tantôt ou tout ensemble stimulant et amusé, songeur ou inquiet.

Se vêtir selon son goût pour avoir belle apparence est un des plaisirs qu’offrent l’existence et nos magasins de mode, malheureusement tenus pour non essentiels. Superficiel, le vêtement nous ramène pas moins à nous-mêmes et nous fait exister à nos yeux et aux yeux des autres. Il participe à ce titre à l’estime de soi et au bien-être. Emblématique du monde romain, la toge possède une richesse de significations qu’on ne soupçonne pas derrière l’uniformité du vêtement. Sur une telle vêture, c’est pourtant le texte d’un maître de rhétorique, un Lagerfeld avant l’heure, le grand Quintilien, qui nous en parle le mieux.

Cultus non est proprius oratoris aliquis, sed magis in oratore conspicitur. Quare sit, ut in omnibus honestis debet esse, splendidus et uirilis. Nam et toga et calceus et capillus tam nimia cura quam neglegentia sunt reprendenda. Est aliquid in amictu quod ipsum aliquatenus temporum condicione mutatum est ; nam ueteribus nulli sinus, perquam breues post illos fuerunt. Itaque etiam gestu necesse est usos esse in principiis eos alio quorum bracchium, sicut Graecorum, ueste continebatur. Sed nos de praesentibus loquimur. Cui lati claui ius non erit, ita cingatur ut tunicae prioribus oris infra genua paulum, posterioribus ad medios poplites usque perueniant ; nam infra mulierum est, supra centurionum. Vt purpurae recte descendant leuis cura est, notatur interim neglegentia. Latum habentium clauum modus est ut sit paulum cinctis summissior. Ipsam togam rutundam esse et apte caesam uelim ; aliter enim multis modis fiet enormis. Pars eius prior mediis cruribus optime terminatur, posterior eadem portione altius qua cinctura. Sinus decentissimus si aliquo supra imam tunicam fuerit, numquam certe sit inferior. Ille qui sub umero dextro ad sinistrum oblique ducitur uelut balteus nec strangulet nec fluat. Pars togae quae postea imponitur sit inferior : nam ita et sedet melius et continetur. Subducenda etiam pars aliqua tunicae, ne ad lacertum in actu redeat : tum sinus iniciendus umero, cuius extremam oram reiecisse non dedecet. Operiri autem umerum cum toto iugulo non oportet ; alioqui amictus fiet angustus et dignitatem quae est in latitudine pectoris perdet. Sinistrum bracchium eo usque adleuandum est ut quasi normalem illum angulum faciat, super quod ora ex toga duplex aequaliter sedeat.

Pour la façon de s’habiller de l’orateur, il n’y a rien de spécial, sauf que chez lui elle se remarque davantage. Qu’elle soit donc, comme elle doit l’être pour tous les gens de distinction, élégante et mâle. En effet, pour la toge et la chaussure et la chevelure, l’excès de soin est aussi blâmable que l’excès de négligence. D’ailleurs, pour le vêtement, il y a quelque chose qui a changé en une certaine mesure avec les conditions du moment : chez les anciens, en effet, la toge n’avait pas de plis ; par la suite, elle en eut de très courts. Aussi, dans les exordes, le geste a nécessairement différé du nôtre, car, à la manière des Grecs, les orateurs anciens retenaient le bras sous le vêtement. Mais c’est du temps présent que nous parlons. Celui qui n’a pas droit à la laticlave doit ceindre sa tunique de façon que le bord descende, par devant, un peu au-dessous du genou, par derrière, au milieu du mollet ; car, plus bas, cela convient aux femmes, plus haut, aux centurions. Que les bandes de pourpre tombent tout droit, cela exige peu d’attention, mais la négligence à cet égard appelle parfois la critique. Pour ceux qui portent la laticlave, la juste mesure est que la tunique descende un peu plus bas que lorsque l’on met une ceinture. Quant à la toge elle-même, je la voudrais coupée en arrondi et bien à la mesure ; autrement, en effet, à bien des égards, elle sera mal ajustée. Par devant, le mieux est qu’elle s’arrête à mi-jambe, et, par-derrière, un peu plus haut, dans la même proportion que la ceinture <retient la tunique>. Le pli sera très seyant s’il se trouve un peu au-dessus du bord intérieur de la tunique ; du moins, il ne doit jamais descendre plus bas. L’autre pli qui, passant sous l’épaule droite pour revenir obliquement vers la gauche, comme un baudrier, ne doit ni l’étrangler ni être flou. La partie de la toge que l’on dispose ensuite doit tomber un peu plus bas, car, ainsi, elle est mieux en place et elle se tient mieux. Il faut même tirer en arrière une partie de la tunique, pour que, dans <le feu de> l’action, elle ne retombe pas sur le haut du bras ; en outre, on jettera un peu le pli sur l’épaule et il ne messied pas d’en avoir rejeté le bord en arrière. D’autre part, il faut éviter de couvrir l’épaule et le cou tout entier ; autrement, le vêtement va brider et gâcher l’effet de noblesse que donne l’ampleur de la poitrine. Le bras gauche ne doit être levé que pour former <avec le coude> une sorte d’angle droit, et le bord de la toge tombera de chaque côté <du bras> avec d’égales longueurs.

Quintilien, Institution oratoire, Tome VI (livres X et XI), XI, 3, 137-141,
Texte établi et traduit par J. Cousin,
Paris, Les Belles Lettres, 1979

Concrètement, une toge n’est pas un vêtement taillé ni cousu, mais une simple pièce de tissu rectangulaire ou en demi- cercle, de plus de six mètres de diamètre, en laine blanche, qui enveloppera le corps, selon une sophistication codifiée. Particulièrement lourde, elle ne tenait qu’à l’aide de fibules et selon une architecture complexe. Unisexe, la toga se charge d’une connotation masculine ou féminine, en fonction de l’habitus, la mise, la façon de la porter et de se tenir. Mais la toge est considérée comme l’uniforme du citoyen romain, indispensable à l’exercice de sa citoyenneté dans le cadre de la vie publique mais aussi dans sa domus, lorsqu’il reçoit ses clientes (clients) lors du rituel social de la salutatio. Même si elle est devenue imposante, peu commode, elle resta l’habit officiel du citoyen romain jusqu’au Bas-Empire, marque de la Romanité, par distinction avec des vêtements d’origine barbare. Son port était d’ailleurs interdit aux citoyens frappés d’exil et la Gallia togata désignait la partie des Gaules ayant obtenu le droit latin. Qu’elle soit blanche (candida pour les candidats aux élections qui en renforçaient d’ailleurs la blancheur avec de la craie), prétexte (praetexta bordée d’une bande de couleur pourpre tissée, pour les garçons et vraisemblablement les filles libres jusqu’à 14-16 ans, qu’ils quittent le 17 mars, aux Liberalia, pour la toge simple, dite uirilis, pura ou libera), elle peut s’orner de broderies (picta) pour le triomphateur pendant le défilé ou être arborée par les Empereurs ou encore palmata. Jetée sur les épaules, dans le dos et sur le bras droit, elle sculpte, par son drapé, le corps et Quintilien discerne bien son rôle de medium dans le théâtre social. Comme la mode Hippie, ou gothique, la toge antique devient un véritable manifeste politique, pas moins que le grand César, qui, par provocation, la ceinturait en laissant traîner un pan, pour marquer son opposition aux Optimates. Cedant arma togae !

 

Christelle Laizé et Philippe Guisard

 

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