À un moment où l’information fuse de toutes parts, il nous a paru intéressant de l’ancrer dans des textes très anciens, afin que l’actualité et l’histoire se miroitent et s’éclairent dans un regard tantôt ou tout ensemble stimulant et amusé, songeur ou inquiet.
De fortes tempêtes comme celles que nous avons subi l'automne dernier augmentent en fréquence et en intensité. Ces phénomènes météorologiques, parfois spectaculaires, inquiètent les habitants du littoral mais aussi les scientifiques : analyser et prévoir de plus en plus en amont devient une nécessité. La prévision permet la prévention ! Les philosophes antiques ont également phosphoré sur ces manifestations de la nature, à l’image du naturaliste Théophraste, disciple d’Aristote, qui a rédigé un traité sur les vents.
La nature des vents, à partir de quoi, comment et pour quelles raisons elle se forme, cela a été étudié précédemment ; mais le fait que la suite logique est pour chacun d’eux ses propriétés et tout ce qui s’ensuit, voilà ce qu’il faut tâcher d’exposer : c’est justement à peu près ce qui les différencie les uns des autres. En effet leurs différences consistent en ceci et portent sur les points que voici : par exemple, la force, la faiblesse, le froid, le chaud, et en un mot leur appartenance à l’hiver ou à la belle saison, leur apport de pluie ou de beau temps ; s’y ajoutent leur fréquence ou leur rareté, le fait qu’ils soufflent en leur temps ou pas toujours, de manière continue et régulière ou par intermittence ou irrégulièrement ; bref, ce qui se produit dans le ciel ou dans l’air et à la fois sur la terre et sur la mer parce qu’ils soufflent. Car c’est, en un mot, sur ces points, et sur ce sujet que se trouvent porter les recherches ; elles englobent également ce qui a trait aux animaux et aux végétaux.
Puisqu’un territoire particulier est soumis à chacun d’eux, et cela comme par essence, de lui, en un mot, viennent à la fois les particularités distinctives et les propriétés de chacun ; ainsi, en premier lieu, le caractère de force ou de faiblesse, de froid ou de chaud, de fréquence ou de rareté, ainsi que la plupart des autres. Certains ont les mêmes qualités, les contraires en ont de contraires, mais les uns et les autres en bonne logique. Ainsi le vent du nord et le vent du midi : tous les deux sont puissants et soufflent très longtemps, parce qu’ils propulsent une très grande masse d’air vers les régions septentrionales et méridionales de biais par rapport à la trajectoire du soleil depuis le levant jusqu’au couchant : elle est reléguée là par la puissance du soleil. C’est pourquoi l’air est à la fois très dense et très chargé de nuages ; par suite d’une forte compression des deux côtés, son écoulement devient bien souvent plus important et plus continu ; d’où les grandes dimensions, la densité et l’abondance des nuages, et de tout autre phénomène de ce genre.
Théophraste, Les vents, I, 1-2,
texte traduit par S. Amigues,
Paris, Les Belles Lettres, 2019
Tout le monde a été exposé au souffle de l’univers mythologique, très hollywoodien, des vents, à travers la figure d’Éole et aux fameux épisodes épiques : Ulysse, au chant X de l’Odyssée ouvrant l’outre des vents qui l’entraînent dans ses errements, et Énée au chant I de l’Énéide, à cause de la colère de Junon.
Néanmoins, les Grecs, ne serait-ce pour la navigation, avaient reconstitué très empiriquement une rose des vents. Ils distinguaient le Borée (vent du Nord qui apporte neige et grêle), le Zéphyr (vent de l’Ouest, venu d’Ibérie selon Ératosthène), le Notos (vent du Sud) et l’Euros (vent de l’Est), sans oublier les vents intermédiaires, le Caecias (vent du Nord-Est, surtout à l’équinoxe de printemps), le lips (vent du Sud-Ouest chaud et sec, surtout à l’équinoxe d’automne), tous deux apportant la pluie, l’argestès (vent sec accompagné de grêle), l’apéniotès (vent humide) ou le mésès (porteur de neige). Ces vents ont une identification spatiale nette dans l’esprit des Grecs. Ils sont représentés sur cette horloge hydraulique appelée tour des vents, située sur l’agora romaine d’Athènes et datée du IIe s. avant notre ère.
Comme toujours, les Grecs ont développé un discours scientifique. La météorologie comprend 2 aspects : la prévision du temps qu’il va faire et l’étude scientifique des phénomènes atmosphériques, la recherche de leurs causes et la description de leur mécanisme. Aristote, inventeur de cette discipline que nous guettons de part et d’autre du JT quotidien, s’efforce d’apporter une explication qui solidarise à la fois l’air, la mer et la terre, avec une intuition proche de notre science (le Gulfstream, El Nino, le phénomène cévenol…). Les Grecs concevaient les vents comme une exhalaison sèche, issue des zones humides de l’atmosphère, sorte d’évaporation en l’absence de pluie. Le mouvement de la terre fait redescendre ces exhalaisons sèches de façon oblique, ce qui crée le vent. Ils attribuaient à l’action du soleil ce que nous expliquons par la force de Coriolis qui dévie les vents et les courants vers la droite dans l’hémisphère nord. À leurs yeux, l’action du soleil pour créer ou faire cesser les vents était essentielle pour expliquer les rythmes annuels des vents.
À vous tous lecteurs, bon vent !
Christelle Laizé et Philippe Guisard