À un moment où l’information fuse de toutes parts, il nous a paru intéressant de l’ancrer dans des textes très anciens, afin que l’actualité et l’histoire se miroitent et s’éclairent dans un regard tantôt ou tout ensemble stimulant et amusé, songeur ou inquiet.
Depuis la rentrée, près de 2 millions d’écoliers s’initient, au cours préparatoire, à l’alphabet. C’est une phase capitale dans notre apprentissage linguistique, dont chacun se souvient avec émoi et nostalgie. Ainsi le grand poète Horace, pourtant fils d’affranchi, évoque ses premières années chez le grammaticus.
Atqui si uitiis mediocribus ac mea paucis
mendosa est natura, alioqui recta, uelut si
egregio inspersos reprendas corpore naeuos,
si neque auaritiam neque sordes nec mala lustra
obiciet uere quisquam mihi, purus et insons,
ut me conlaudem, si et uiuo carus amicis,
causa fuit pater his, qui macro pauper agello
noluit in Flaui ludum me mittere, magni
quo pueri magnis e centurionibus orti
laeuo suspensi loculos tabulamque lacerto
ibant octonos referentes Idibus aeris ;
sed puerum est ausus Romam portare docendum
artis quas doceat quiuis eques atque senator
semet prognatos. Vestem seruosque sequentis,
in magno ut populo siqui uidisset, auita
ex re praeberi sumptus mihi crederet illos.
Ipse mihi custos incorruptissimus omnis
circum doctores aderat. Quid multa? pudicum,
qui primus uirtutis honos, seruauit ab omni
non solum facto, uerum obprobrio quoque turpi ;
nec timuit sibi ne uitio quis uerteret, olim
si praeco paruas aut, ut fuit ipse, coactor
mercedes sequerer ; neque ego essem questus ; at hoc nunc
laus illi debetur et a me gratia maior.
Et pourtant, si ma nature, droite d’ailleurs, n’est entachée que de défauts médiocrement graves et en petit nombre, comparables à des verrues qu’on trouverait éparses sur un beau corps, si personne ne peut sans mentir me reprocher ni avarice, ni tenue sordide, ni basse débauche, si, pour faire mon propre éloge, ma vie est nette et sans reproche, si je suis cher à mes amis, je le dois à mon père, qui, pauvre d’un maigre petit bien, ne voulut pas m’envoyer à l’école de Flavius, où les nobles enfants issus des nobles centurions, leur botte à casier et leur planchette suspendues à l’épaule gauche, allaient, payant aux Ides huit écus de bronze. Dès mon enfance, il ne craignit pas de me transporter à Rome pour m’y faire donner l’instruction que ferait donner à sa progéniture un chevalier, un sénateur. Mes habits, les esclaves qui me suivaient, si quelqu’un, dans cette grande foule, les avait remarqués, pouvaient faire croire que le patrimoine d’une vieille famille fournissait à de telles dépenses. Mon père lui-même, gardien incorruptible, m’accompagnait partout chez les maîtres. Bref, il conserva ma pudeur, cette première parure de la vertu, à l’abri je ne dis pas seulement de toute action, mais même de toute imputation honteuses. Et il n’avait pas à craindre qu’on lui fît des reproches si, devenu un jour crieur public ou, comme il l’avait été lui-même, receveur des enchères, je ne réalisais que de minces profits. Moi-même, je ne m’en serais pas plaint. Il n’en mérite aujourd’hui que plus de louange et, de ma part, que plus de reconnaissance.
Horace, Satires, I, 6, v. 65-88,
texte établi et traduit par F. Villeneuve,
Paris, Les Belles Lettres, 2002
Ce très ancien alphabet hérité du fameux alphabet proto-sinaïque, transmis aux Phéniciens puis aux Grecs puis aux Étrusques puis aux Romains, est remarquable par sa stabilité, grâce, notamment, aux abécédaires de l’institution scolaire (hommage archéologique à l’école !). Ce n’est pas cet aspect bien connu que nous voudrions évoquer, mais son extension plus obscure dans les contrées boréennes de l’Europe, avec les mystérieuses runes (en vieil-islandais, runar signifie secret). Essentiellement attestée sur des pierres ou sur des objets en métal (500 pierres runiques au Danemark, 750 en Norvège, plus de 3000 en Suède) et probablement plus encore sur des plaques de bois qui n’ont pas résisté aux assauts du temps, cette écriture constitue une ramification pleinement héritée de l’alphabet latin (comprenant entre 16 et 24 lettres) sans origine pictographique. Il est avéré que ce sont de véritables phonèmes. Leur forme est identifiable. Les runes sont caractérisées par une forte verticalité et obliquité des traits (les courbes et lignes horizontales étaient difficilement traçables sur les veines ligneuses du support). Il est vraisemblable que les runes transcrivaient la langue de tous les jours et la réalité quotidienne. On les trouve sur des monuments parfois imposants (de plus de 2m de hauteur), le long des voies de communication, à côté des ponts et des tumulus. L’inscription runique la plus ancienne remonte au I er s. de notre ère (Tacite évoque cet usage de l’écriture dans sa Germanie). On ignore néanmoins le degré de compétence et le public visé.
Ses formes semi-mystérieuses sont le terreau d’un imaginaire nordique que l’on retrouve chez Jules Verne, J. R. R. Tolkien, J.K. Rowling, ainsi que dans les fantasmes les plus frelatés (récupération nazie, ancienne et récente…).
Christelle Laizé et Philippe Guisard