Chroniques anachroniques – Il n’y a que le miel qui m’aille !

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À un moment où l’information fuse de toutes parts, il nous a paru intéressant de l’ancrer dans des textes très anciens, afin que l’actualité et l’histoire se miroitent et s’éclairent dans un regard tantôt ou tout ensemble stimulant et amusé, songeur ou inquiet.

Les marchés artisanaux et les rayons bio regorgent de différentes variétés de miel (thym, acacia, tilleul, oranger…) pour satisfaire notre gourmandise qui n’est pas, dans ce cas, contrariée par la médecine. Ses vertus sont connues depuis la plus haute Antiquité, depuis l’Égypte du IIIe millénaire. Le poète Virgile, parmi une riche littérature sur l’apiculture, y consacre un chant entier de ses Géorgiques pour célébrer l’abeille et la ruche.

Nunc age, naturas apibus quas Iuppiter ipse
addidit expediam, pro qua mercede canoros
Curetum sonitus crepitantiaque aera secutae
Dictaeo caeli regem pauere sub antro.
Solae communes natos, consortia tecta
urbis habent magnisque agitant sub legibus aeuom
et patriam solae et certos nouere Penatis,
uenturaeque hiemis memores aestate laborem
experiuntur et in medium quaesita reponunt.
Namque aliae uictu inuigilant et foedere pacto
exercentur agris ; pars intra saepta domorum
narcissi lacrimam et lentum de cortice gluten
prima fauis ponunt fundamina, deinde tenacis
suspendunt ceras ; aliae spem gentis adultos
educunt fetus ; aliae purissima mella
stipant et liquido distendunt nectare cellas.
Sunt quibus ad portas cecidit custodia sorti
inque uicem speculantur aquas et nubila caeli
aut onera accipiunt uenientum aut agmine facto
ignauom fucos pecus a praesepibus arcent.
Feruet opus, redolentque thymo fragrantia mella.

Maintenant allons ! je vais exposer l’instinct dont Jupiter lui-même a doté les abeilles pour les récompenser d’avoir, attirées par la musique bruyante des Curètes et le crépitement de l’airain, nourri le roi du ciel sous l’antre de Dicté. Seules elles élèvent en commun une progéniture ; seules elles possèdent en commun les abris d’une cité et passent leur vie sous des lois imposantes ; seules elles connaissent une patrie et des pénates fixes ; pensant à la venue de l’hiver, elles se livrent l’été au travail et mettent en réserve pour la communauté ce qu’elles ont butiné. Les unes veillent à la subsistance et, suivant le pacte établi s’activent dans la campagne ; les autres, enfermées dans l’enceinte de leurs demeures, emploient les larmes du narcisse et la gomme visqueuse provenant de l’écorce pour poser les premières assises des rayons ; puis elles y fixent de haut en bas la cire tenace ; d’autres font sortir les adultes, espoir de la nation ; d’autres accumulent un miel très pur et bourrent les alvéoles d’un nectar limpide. Il en est à qui la garde des portes est échue par le sort : à tour de rôle, elles observent les eaux et les nuées du ciel ; ou bien elles reçoivent les fardeaux de celles qui rentrent, ou bien elles se forment en colonne pour écarter de la ruche les bourdons, troupe paresseuse. C’est un bouillonnement de travail, et le miel embaumé exhale une odeur de thym.

Virgile, Géorgiques, IV, v. 149-169,
texte établi et traduit par E. de Saint-Denis,
Paris, les Belles Lettres, 2009

Si le sucre de canne est connu en Palestine au VIIe de notre ère et en Europe occidentale au Xe s. par les Vénitiens, c’est ce miel qui, jusqu’alors, tenait lieu de sucre. Les variétés étaient déjà considérables, le miel étant aussi indispensable que le sel. Sa consommation, abondante, assurait des profits importants aux apiculteurs (on estime que la Corse, au IIe av. notre ère, en produisait 65 tonnes par an à elle seule ! Athènes, au Ve s. av. notre ère, comptait pas moins de 20000 ruchers !).

S’il se consommait cru comme dessert, ou au début du repas, il jouait un grand rôle en cuisine pour adoucir les plats. Les Anciens appréciaient une cuisine relativement sucrée, mélangeant salé sucré, loin de nos habitudes alimentaires ! Le miel entre dans les sauces destinées au gibier, à la volaille, au poisson, aux légumes. Il n’est guère de recettes d’Apicius (Ier s. de notre ère) où il ne figure. Il entre systématiquement dans la composition des pâtisseries et les fruits étaient confits dans du miel. Il garantissait en outre la conservation des aliments.

Au-delà de la glycémie, le miel, c’est la panacée : la médecine antique a tôt eu fait de mettre à profit les qualités naturelles antibactériennes, antiseptiques, antifongiques et anti-inflammatoires de ce nectar doré.

Il symbolisait les bienfaits naturels dont jouissaient les hommes de l’Âge d’or. Bref, le miel, c’était la promesse du bonheur…en espérant que vous aurez fait votre miel de cette chronique !

Christelle Laizé et Philippe Guisard

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