À un moment où l’information fuse de toutes parts, il nous a paru intéressant de l’ancrer dans des textes très anciens, afin que l’actualité et l’histoire se miroitent et s’éclairent dans un regard tantôt ou tout ensemble stimulant et amusé, songeur ou inquiet.
Les mois sombres de l’année amènent leur cortège de maladies virales en tous genres, grippe, gastro, angine…sans compter les épidémies opportunes qui effraient la communauté internationale, le SRAS en 2003, le H5N1 en 2004, et l’actuel coronavirus qui sévit en Chine. Si nous remontons dans le temps, nous trouverons la grippe espagnole de 1918 qui a fait plus 50 millions de morts, dans un laps de temps très court et qui est la pandémie la plus mortelle de l’histoire, devant les 34 millions de la peste noire du XIVe s. L’Antiquité ne fut pas en reste et la grippe eut ses observateurs grecs.
Μέγιστον δὲ καὶ χαλεπώτατον, καὶ πλείστους ἔκτεινε τὸ φθινῶδες. Πολλοὶ γάρ τινες ἀρξάμενοι κατὰ χειμῶνα, πολλοὶ μὲν κατεκλίθησαν, οἱ δὲ αὐτέων ὀρθοστάδην ὑπεφέροντο· πρωῒ δὲ τοῦ ἦρος ἔθνησκον οἱ πλεῖστοι τῶν κατακλιθέντων· τῶν δὲ ἄλλων, ἐξέλιπον μὲν αἱ βῆχες οὐδενὶ, ὑφίεσαν δὲ κατὰ θέρος· ὑπὸ δὲ τὸ φθινόπωρον κατεκλίθησαν πάντες, καὶ πουλλοὶ ἔθνησκον· μακρὰ δὲ τούτων οἱ πλεῖστοι διενόσεον. Ἤρξατο μὲν οὖν τοῖσι πλείστοισι τούτων ἐξαίφνης ἐκ τούτων κακοῦσθαι· φρικώδεες πυκνά· πολλάκις πυρετοὶ ξυνεχέες, ὀξέες· ἱδρῶτες ἄκαιροι, πουλλοὶ, ψυχροὶ διὰ τέλεος· πουλλὴ ψύξις, καὶ μόλις πάλιν ἀναθερμαινόμενοι· κοιλίαι ποικίλως ἐφιστάμεναι, καὶ πάλιν ταχὺ καθυγραινόμεναι, περὶ δὲ τελευτὴν πᾶσι βιαίως καθυγραινόμεναι· καὶ τῶν περὶ πλεύμονα πάντων, διάδοσις κάτω· πλῆθος οὔρων οὐ χρηστῶν· ξυντήξιες κακαί. Αἱ δὲ βῆχες ἐνῆσαν μὲν, διὰ τέλεος πολλαὶ, καὶ πουλλὰ ἀνάγουσαι πέπονα καὶ ὑγρὰ, μετὰ πόνων δὲ οὐ λίην· ἀλλ´ εἰ καὶ ὑπεπόνεον, πάνυ πρηέως πᾶσιν ἡ κάθαρσις τῶν ἀπὸ πλεύμονος ἐγίνετο. Φάρυγγες οὐ λίην δακνώδεες, οὐδὲ ἁλμυρίδες οὐδὲν ἠνώχλεον· τὰ μέντοι γλίσχρα, καὶ λευκὰ, καὶ ὑγρὰ, καὶ ἀφρώδεα πολλὰ ἀπὸ κεφαλῆς κατῄει. Πουλὺ δὲ μέγιστον κακὸν παρείπετο καὶ τούτοισι καὶ τοῖσιν ἄλλοισι τὰ περὶ τὴν ἀποσιτίην, καθάπερ ὑπογέγραπται· οὐδὲ γὰρ πότων μετὰ τροφῆς ἡδέως εἶχον, ἀλλὰ πάνυ διῆγον ἀδίψως· βάρος σώματος· κωματώδεες· τοῖσι πλείστοισιν αὐτέων οἴδημα, καὶ ἐς ὕδρωπα περιίσταντο· φρικώδεες· παράληροι περὶ θάνατον. |
La maladie la plus importante et la plus difficile qui tua le plus de gens fut la phtisie. Bien des gens commencèrent à être malades en hiver ; beaucoup d’entre eux s’alitèrent, alors que certains supportaient le mal en restant debout. Tôt dans le printemps, la plupart de ceux qui s’étaient alités mouraient ; parmi les autres, les toux n’en quittèrent aucun, cependant elles régressèrent durant l’été ; mais au cours de l’automne, ils s’alitèrent tous et à nouveau mouraient ; c’est durablement que la plupart d’entre eux étaient malades. Le mal commença donc chez la plupart d’entre eux à se déclarer soudainement par les symptômes que voici : ils avaient des frissons fréquents ; souvent des fièvres continues, aiguës ; et des sueurs inopportunes, nombreuses, froides jusqu’à la fin ; un fort refroidissement avec difficulté à se réchauffer ; un ventre qui se resserrait de diverses façons, puis inversement s’humidifiait vite, avec émission par le bas de toutes les humeurs de la région du poumon ; une quantité d’urines non favorables ; des colliquations mauvaises. Les toux étaient présentes jusqu’à la fin en abondance, et elles faisaient remonter en abondance des matières mûres et humides, avec des efforts qui n’étaient pas excessifs ; mais même si c’était avec quelques efforts, c’est tout à fait en douceur que la purgation des humeurs issues du poumon se faisait chez tous. La gorge n’était pas trop irritée, et il n’y avait pas d’humeurs salées pour faire le moindre obstacle ; cependant des humeurs visqueuses, blanches, humides et écumeuses descendaient en grande quantité de la tête. Le mal de beaucoup le plus grand qui accompagnait ces malades-là et les autres était ce qui relevait du dégoût pour la nourriture, comme il a été consigné ; et ils n’avaient pas non plus plaisir à prendre des boissons avec la nourriture, mais ils restaient tout à fait sans envie de boire ; lourdeur du corps ; ils étaient somnolents ; chez la plupart d’entre eux gonflements, et ils aboutissaient à l’hydropisie ; ils avaient des frissons et divaguaient à l’approche de la mort. |
Hippocrate, Épidémies III, 13, Paris, Les Belles Lettres, 2016, texte établi et traduit par J. Jouanna, en collaboration A. Anastassiou et A. Gardasole
En effet, pour rappel, il y eut la peste d’Athènes entre 430 et 426 av. notre ère (vraisemblablement le typhus), qui fit 70000 victimes dont Périclès, soit le tiers de la cité ; la peste antonine ou galénique (la variole ?) qui fit 10 millions de morts entre 166 et 189, dont peut-être les empereurs Lucius Verus et Marc-Aurèle ; la peste de Justinien (une vraie peste) qui sévit dans l’orient ancien entre 540 et 542 et qui fit entre 25 et 100 millions de morts, soit 10000 victimes par jour.
Hippocrate, célébrissime médecin du Ve s. avant notre ère, fut le premier à choisir une voie thérapeutique éloignée des pratiques rituelles et magiques, à la base de notre médecine et recherche modernes. Les 7 livres des Épidémies, dont la rédaction s’étend de la fin du Ve au milieu du IVe s. avant notre ère, sont un groupe cohérent attribué à l’école de Cos. Issus de l’expérience de médecins itinérants, ils consignent avec un sens aigu de l’observation les maladies et leurs symptômes, assortis d’une acribie anatomique, qu’on appellerait actuellement signes cliniques, et qui rappellent à quel point la médecine se pratique au chevet du patient. La systématisation des observations et la mise en série des symptômes, approche typiquement grecque, sont subsumés par l’idée d’une pathologie commune : la science prend donc racine dans l’empirique. En attendant, avancez masqués et mains propres !
Christelle Laizé et Philippe Guisard