À un moment où l’information fuse de toutes parts, il nous a paru intéressant de l’ancrer dans des textes très anciens, afin que l’actualité et l’histoire se miroitent et s’éclairent dans un regard tantôt ou tout ensemble stimulant et amusé, songeur ou inquiet.
Ce 8 mars sont célébrées les femmes, diversement fêtées. C’est l’occasion pour nous de parler d’une figure qui reste dans l’ombre d’un grand philosophe, Socrate. La rare image qui en est restée d’elle n’a rien à avoir avec l’image traditionnelle de la femme grecque, recluse, effacée dans son gynécée (non citoyenne et simple ventre), une véritable marâtre, acariâtre, caractérielle. Le biographe et doxographe Diogène Laërce (IIIe s. de notre ère) nous livre des anecdotes, à son sujet, précieuses et croustillantes.
Sa femme Xanthippe, non contente de l’injurier, lui jeta un jour de l’eau à la tête. « N’avais-je pas prédit un jour de l’eau à la tête que tant de tonnerre amènerait la pluie ? » Comme Alcibiade se plaignait qu’elle fût insupportable avec ses criailleries, Socrate lui dit : « j’y suis pourtant habitué comme si j’entendais continuellement crier des oies. Tu supportes bien, toi, le cri de tes oies ? » « C’est, répondait Alcibiade, qu’elles me donnent des œufs et des oisons. » Et Socrate de répliquer : « c’est pareil pour moi, ma femme le fait des enfants. » Un autre jour, en pleine face, elle lui avait arraché son manteau, et ses amis lui conseillaient de la punir par quelques gifles : « bien sûr, dit-il, pour que nous nous battions à coups de poings, et que chacun de vous nous encourage en disant : « vas-y, Socrate ! Vas-y Xanthippe ! » Il disait qu’il en était des femmes irascibles comme des chevaux rétifs. Quand les cavaliers ont pu dompter ceux-ci, ils n’ont aucune peine à venir à bout des autres. Lui-même, s’il savait vivre avec sa femme, en saurait beaucoup plus aisément vivre avec les autres gens.
Diogène Laërce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, « Socrate », par R. Genaille, Paris, GF, 1965
Sans être philosophe, Xanthippe devait l’être malgré tout, étant femme de philosophe, en plus, homme laid, attiré par le bel Alcibiade, qui, de surcroît, passait son temps sur l’agora à palabrer avec les sophistes (auxquels il a été assimilé). Cette aspect de la vie de Socrate est moins connue ; Aristote dit qu’il aurait eu deux femmes, Xanthippe, qui lui donne un fils, Lamproclès, et Myrto, qu’il épousa sans dot et dont il eut deux enfants, Sophroniske et Ménéxène. Certains prétendent même qu’il les épousa toutes deux à la fois. En tout cas, Socrate était marié et père de famille. Alors que la vie philosophique requiert sagesse et quiétude, Diogène Laërce montre comment sa première épouse mettait à mal la paix de son âme. Cette scène qui figure sa première épouse Xanthippe lui versant une cruche d’eau sur la tête, pendant que sa deuxième, complice, s’en amuse, alors que Socrate est assis au sol en train de fixer Alcibiade, est le sujet d’un tableau de Reyer van Blommendale (XVIIe), visible au musée des Beaux-arts de Strasbourg. À permuter les causes et les effets, on pourrait aisément imaginer qu’une femme d’un tel caractère ait favorisé les déambulations socratiques sur l’agora, et donc la naissance de tout un pan de la philosophie. Justice rendue au sexe faible !
Christelle Laizé et Philippe Guisard