À un moment où l’information fuse de toutes parts, il nous a paru intéressant de l’ancrer dans des textes très anciens, afin que l’actualité et l’histoire se miroitent et s’éclairent dans un regard tantôt ou tout ensemble stimulant et amusé, songeur ou inquiet.
L’actualité houleuse et paralysante de ces deux derniers mois a remis sur le devant de la scène nos fameux syndicats, défenseurs pris entre les acquis du passé, les exigences du présent, et les idéaux du futur. Mais qu’était-ce qu’au juste un syndikos dans le régime de la cité ancienne ? On en aurait presque oublié que le vocable était grec et qu’il recouvrait une réalité sociale et juridique dans le cas de litiges. Différents auteurs nous éclairent sur la question, notamment le juriste Arcadius Charisius, dans le Digeste, rédigé à l’époque de Dioclétien.
Defensores quoque quos Graeci syndicos appellant et qui ad certam causam agendam uel defendendam eliguntur laborem personalis muneris adgrediuntur.
Dig., 50, 4, 18, 13
personalia ciuilia sunt munera defensio ciuitatis, id est ut syndicus fiat.
Dig., 50, 4, 1, 2
Le terme de syndikos est littéralement « celui prend part à un procès », au nom d’une personne ou d’une communauté. Dans l’Athènes classique, sont recensés cinq emplois : les syndikoi étaient les membres de la commission extraordinaire constituée en 403 afin de punir les abus commis sous les Trente (Lysias) ; les cinq citoyens chargés annuellement de vérifier la constitutionnalité des projets de lois défendant la palaios nomos contre les innovations, toujours hasardeuses (Démosthène) ; toujours au IVe s., les syndikoi assistaient le démarque dans certaines procédures ; dans les tablettes de défixion, il désignait des assistants juridiques visés par la malédiction ; enfin, des représentants extraordinaires de leurs cités, envoyés comme ambassadeurs pour défendre leurs intérêts. Ce dernier aspect fut celui qui se généralisa à l’époque hellénistique et romaine pour régler des litiges internationaux devant une instance arbitrale. À telle enseigne que, dans le cursus civique grec, la syndikia est tenue pour une liturgie et, dans le cursus romain, comme un munus personale, fondé sur les connaissances en droit et l’habileté oratoire plutôt que sur la classe censitaire de son détenteur. Son caractère ponctuel néanmoins la distinguait d’une magistrature annuelle. Une activité bien précise et bien encadrée, plutôt tournée vers la conservation et le droit acquis : pas de défilé, pas de banderole, pas de grève, pas de voie de fait. Serait-ce la preuve étymologique et historique qu’un syndicat est dans la réaction tout en incarnant une certaine justice ? Par la surévaluation du préfixe sun- (la solidarité), cet élément de justice est peut-être passé au second plan dans la lecture actuelle du mot. La pulvérisation des occurrences est révélatrice des interventions ponctuelles et à la demande des syndikoi, qui œuvraient constamment dans l’intérêt général.
Christelle Laizé et Philippe Guisard