L’opéra est encore jeune, mais de Monteverdi à Wagner, il a créé son Antiquité. En chantant le mythe et la tragédie, l’art lyrique s’invente et rêve les Anciens.
Comme la Danse de Carpeaux, à la fois dionysiaque et baroque, l’antique déborde souvent le classicisme, par un éternel saut dans le présent. Comme un air chanté « da capo », la présence des classiques est un retour toujours neuf. On suivra le tempo de ces métamorphoses avec les artistes et les mises en scène d’aujourd’hui, l’écho des sources nous ouvre la voie.
Le « premier » Don Juan de Molina (1630) se présentait comme « Un homme sans nom ». Don Giovanni se cache aussi, mais la musique de Mozart découpe sa silhouette à coup sûr, mobile et très noire, entre ciel et brasier. L’opéra attise à lui seul toute la mythologie chrétienne de ce pécheur sans remords.
Mais la mise en scène du cinéaste Michael Haneke brise cette lignée métaphysique sur notre modernité. Métamorphosé en self made man, Don Juan tient son « catalogue », la cruelle comptabilité de ses conquêtes, magnifiée dans l’air de Leporello. Criminel en col blanc, le « dissolu » rôde dans la nuit d’un couloir vitré, ou s’exhibe sur fond de gratte-ciel, signe de son hybris : le mot des Anciens nous revient en écho pour qualifier sa démesure profane. Nous retrouvons la transgression tragique dans un monde sans transcendance. Les artistes nous la rendent contemporaine, tranchante jusque dans l’émotion. Seul véritable open space, la musique l’emporte et nous transporte, au-delà des « cadres ».
J.T.
Mozart, Don Giovanni (1787). Mise en scène de Michael Haneke créée en 2006 à l’Opéra Bastille. Dirigé cette année par Alain Altinoglu à l’Opéra national de Paris. Un extrait audiovisuel : Acte I, n°12 — Aria : Finch’han dal vino.
Jean-Victor Hocquard, Les Opéras de Mozart, Les Belles Lettres-Archimbaud, 1995.