À un moment où l’information fuse de toutes parts, il nous a paru intéressant de l’ancrer dans des textes très anciens, afin que l’actualité et l’histoire se miroitent et s’éclairent dans un regard tantôt ou tout ensemble stimulant et amusé, songeur ou inquiet.
Les chalands du bord de Seine ont le plaisir de constater l’avancement spectaculaire de la reconstruction de la charpente et de la flèche de Notre-Dame, 5 ans après le terrible incendie. Un autre joyau architectural, lui aussi victime des accidents de l’Histoire, est en cours de reconstitution depuis une trentaine d’années, véritable puzzle : il s’agit du mythique Parthénon, détruit, date funeste, le 26 septembre 1687, à la suite d’une explosion d’un obus vénitien alors qu’il servait de dépôt de munitions. Plutarque (46-120 de notre ère), pourtant 500 ans après la construction du temple (érigé entre 447 et 432 av. notre ère) nous fait rêver quant à l’état et à l’éclat de l’édifice.
ἀναβαινόντων δὲ τῶν ἔργων ὑπερηφάνων μὲν μεγέθει, μορφῇ δ' ἀμιμήτων καὶ χάριτι, τῶν δημιουργῶν ἁμιλλωμένων ὑπερβάλλεσθαι τὴν δημιουργίαν τῇ καλλιτεχνίᾳ, μάλιστα θαυμάσιον ἦν τὸ τάχος. ὧν γὰρ ἕκαστον ᾤοντο πολλαῖς διαδοχαῖς καὶ ἡλικίαις μόλις ἐπὶ τέλος ἀφίξεσθαι, ταῦτα πάντα μιᾶς ἀκμῇ πολιτείας ἐλάμβανε τὴν συντέλειαν. καίτοι ποτέ φασιν Ἀγαθάρχου τοῦ ζωγράφου μέγα φρονοῦντος ἐπὶ τῷ ταχὺ καὶ ῥᾳδίως τὰ ζῷα ποιεῖν ἀκούσαντα τὸν Ζεῦξιν εἰπεῖν· “ἐγὼ δ' ἐν πολλῷ χρόνῳ.” ἡ γὰρ ἐν τῷ ποιεῖν εὐχέρεια καὶ ταχύτης οὐκ ἐντίθησι βάρος ἔργῳ μόνιμον οὐδὲ κάλλους ἀκρίβειαν· ὁ δ' εἰς τὴν γένεσιν τῷ πόνῳ προδανεισθεὶς χρόνος ἐν τῇ σωτηρίᾳ τοῦ γενομένου τὴν ἰσχὺν ἀποδίδωσιν. ὅθεν καὶ μᾶλλον θαυμάζεται τὰ Περικλέους ἔργα πρὸς πολὺν χρόνον ἐν ὀλίγῳ γενόμενα. κάλλει μὲν γὰρ ἕκαστον εὐθὺς ἦν τότε ἀρχαῖον, ἀκμῇ δὲ μέχρι νῦν πρόσφατόν ἐστι καὶ νεουργόν· οὕτως ἐπανθεῖ καινότης ἀεί τις ἄθικτον ὑπὸ τοῦ χρόνου διατηροῦσα τὴν ὄψιν, ὥσπερ ἀειθαλὲς πνεῦμα καὶ ψυχὴν ἀγήρω καταμεμιγμένην τῶν ἔργων ἐχόντων. πάντα δὲ διεῖπε καὶ πάντων ἐπίσκοπος ἦν αὐτῷ Φειδίας, καίτοι μεγάλους ἀρχιτέκτονας ἐχόντων καὶ τεχνίτας τῶν ἔργων. τὸν μὲν γὰρ ἑκατόμπεδον Παρθενῶνα Καλλικράτης εἰργάζετο καὶ Ἰκτῖνος.
Les monuments s’élevaient, d’une grandeur imposante, d’une beauté et d’une grâce inimitable ; les artistes s’efforçaient à l’envi de se surpasser par la perfection technique du travail, mais le plus admirable fut la rapidité de l’exécution. Tous ces ouvrages, dont il semblait que chacun dût exiger plusieurs générations successives pour être achevé, se trouvèrent tous terminés pendant la période d’apogée d’une seule carrière politique. On dit pourtant que Zeuxis, ayant un jour entendu le peintre Agatharchos se vanter de peindre vite et facilement toute espèce de figures, répartit : « il me faut à moi beaucoup de temps. » Et en effet la dextérité et la vitesse de l’exécution ne confèrent pas à un ouvrage la solidité durable et la beauté parfaite ; le temps employé au travail de la création produit, comme un capital placé à intérêts, la valeur qui assure la conservation de l’œuvre une fois faite. Aussi l’admiration pour les monuments de Périclès s’accroît-elle d’autant plus qu’ils ont été faits en peu de temps pour une longue durée. Chacun d’eux, à peine fini, était si beau qu’il avait déjà le caractère de l’antique, et si parfait qu’il a gardé jusqu’à notre époque la fraîcheur d’un ouvrage récent, tant y brille toujours une sorte de fleur de jeunesse qui en a préservé l’aspect des atteintes du temps. Il semble que ces ouvrages aient en eux un souffle toujours vivant et une âme inaccessible à la vieillesse. Phidias présidait à tout et surveillait tout pour Périclès. Et cependant on ne manquait ni de grands architectes ni de grands artistes pour ces travaux. Callicratès et Ictinos construisirent le Parthénon de cent pieds.
Plutarque, Vie de Périclès, 13, 1-7,
texte établi et traduit par R. Flacelière et É. Chambry,
Paris, Les Belles Lettres, 1964
La reconstruction du Parthénon pulvérisé a nécessité, sous la baguette de Manolis Korrès, la compréhension de la structure et la redécouverte des techniques utilisées pour son élaboration. Il s’agit de faire converger toutes les disciplines des sciences humaines et exactes. Les chercheurs se sont rendus compte que les horizontales et les verticales du bâtiment n’étaient volontairement pas rectilignes, mais conçues comme des sections de courbe. Rien n’y est droit, ni le stylobate, ni les colonnes. Notamment, les colonnes étaient marquées au tiers de leur hauteur par un léger renflement (l’entasis) dont le point de fuite se rencontrerait à 5 km d’altitude. Si l’on place un livre à une extrémité du stylobate, il n’est plus visible à l’autre extrémité. Ces subtilités visaient à la qualité de l’illusion optique d’un temple harmonieux et proportionné. Les tentatives de reproduction ignorant cette finesse sont déséquilibrées. Par conséquent, pour les anastyloses, chaque tambour se trouve ainsi assigné à une seule place : le casse-tête ! Les éléments étaient pensés au micro prêt, et centrés au moyen d’une prise mâle et femelle en cèdre du Liban. En démontant les colonnes, ce cèdre dégageait encore son odeur…La rapidité de l’érection confiée à des sculpteurs d’origines différentes a conduit les chercheurs à supposer un module de construction (par exemple le triglyphe) jusqu’à la découverte de la « pierre de Salamine », véritable table de conversion entre les diverses unités de mesure du monde grec. Une reconstruction est toujours une autopsie riche pour la science. Le savoir-faire astucieux des Anciens est toujours source de découverte et d’étonnement. Les pièces du puzzle reprennent place et vie une à une, que ce soit pour le Parthénon ou Notre-Dame. Un tel soin méticuleux fait honneur à la Modernité comme à l’Antiquité.
Christelle Laizé et Philippe Guisard