L’opéra est encore jeune, mais de Monteverdi à Wagner, il a créé son Antiquité. En chantant le mythe et la tragédie, l’art lyrique s’invente et rêve les Anciens.
Parmi les œuvres du compositeur jouées cette année au Festival d'Automne, le titre de Spazio inverso nous interroge. En effet, qu'est-ce qu'un « espace inverse » ? C'est peut-être une clef d'écoute pour des œuvres qui jouent sur des effets de seuils perceptifs, où les notes et l'atmophère « raréfiées » découpent le silence, aiguisent l'attention. L'espace inverse naît donc à la frontière – réfléchie dans la musique – entre l'espace mental de la perception et l'espace extérieur de l'interprétation.
En ce sens, la notion serait à la musique ce qu'est la définition artistotélicienne du « lieu » comme limite extérieure à tout corps. Mais si dans la Physique, Aristote refuse l'existence du vide comme « lieu sans corps », la musique de Sciarrino – par exemple dans l'opéra Infinito nero – peut se risquer à suggérer une « mélodie du vide ». Au bord des lèvres, le chant lui-même n'est-il pas l'inversion du souffle ? Exstase, « sortie de soi », le chant redéfinit (à l'inverse) le lieu de l'opéra.
J. T.
Salvatore Sciarrino, Œuvres des années 1970 et 1980, données le 27.11.2017 au Théâtre de la Ville/Espace Cardin, dans le cadre du Festival d'Automne. Avec l'ensemble L'Instant Donné et Amandine Trenc (soprano).
Œuvres citées de Sciarrino :
– Lo spazio inverso (1985)
– Infinito nero. Estasi du un atto (1998)
De nombreuses œuvres de Sciarrino s'inspirent de sujets « antiques » et sont aussi disponibles à l'écoute. On trouvera un catalogue détaillé et de nombreuses informations à cette adresse.
– Aristote, Physique. t.1 : livres I-IV, texte établi et traduit par Henri Carteron, Belles Lettres, 1926.