Dans l’atelier d’Hélène Frangoulis

Média :
Image : Entretien Frangoulis
Texte :

À l’occasion de la publication du 1000e Budé, La Vie des Classiques vous propose une série d’entretiens avec des latinistes et des hellénistes qui ont fait et font encore la C.U.F., pour présenter leurs démarches respectives et leurs approches des textes antiques. Nous recevons aujourd’hui Hélène Frangoulis, qui a édité et traduit les chants XXXV, XXXVI et XXXVII des Dionysiaques de Nonnos de Panopolis.

 

La Vie des Classiques : Comment vous présenter ? Quelle a été votre formation intellectuelle ?

Hélène Frangoulis : L’important, dans mon parcours comme dans ma formation, a toujours été d’unir l’enseignement (dans le secondaire puis dans le supérieur) et la recherche. Je n’aurais jamais pu envisager une carrière tournée uniquement vers la recherche : la transmission aux étudiants m’aurait beaucoup manqué….
À ce parcours s’ajoute un parcours militant, pour la défense et la promotion des langues anciennes, au sein de la CNARELA (Coordination nationale des associations régionales d’enseignants de langues anciennes).

 

L.V.D.C. : Quelles ont été les rencontres déterminantes, de chair ou de papier, dans votre parcours ?

H. F. : Je peux citer trois noms d’enseignants : Lauriane Bonnet, qui fut mon professeur de grec en 1ère au lycée de Salon-de-Provence et qui m’a transmis son amour de la Grèce ; Anne Lebeau dont les cours m’ont beaucoup apporté à l’époque où je préparais l’agrégation à la Sorbonne ; et enfin Francis Vian qui fut, dans la Collection des Universités de France, l’éditeur de Quintus de Smyrne et d’Apollonios de Rhodes, avant de se lancer dans une tâche monumentale, bien que collective, l’édition des Dionysiaques de Nonnos de Panopolis.

 

L.V.D.C. : Comment est née votre passion des langues anciennes, et notamment du grec ancien ? Et comment avez-vous « entretenu la flamme » ?

H. F. : J’ai évoqué tout à l’heure le nom de mon professeur de 1ère mais je crois qu’avant même cette rencontre, j’ai toujours aimé le grec, que j’ai commencé en 4ème. Peut-être aussi avais-je lu trop de récits mythologiques quand j’étais plus jeune…

 

L.V.D.C. : Quel a été le premier texte latin et/ou grec que vous avez traduit/lu ? Quel souvenir en gardez-vous ?

H. F. : J’ai commencé en même temps le grec et le latin. Les premiers textes que j’ai traduits étaient sans doute les textes des manuels de l’époque, mais je me souviens aussi qu’il y avait à la fin d’un manuel de latin (en 3ème ?) des extraits du 1er livre des Métamorphoses d’Ovide.

 

L.V.D.C. : Et quel est le premier Budé que vous avez eu dans votre bibliothèque ? Vous souvenez-vous de la manière dont vous l’avez obtenu ?

H. F. : Il me semble que les premiers volumes de la CUF que j’ai achetés étaient ceux de l’Odyssée, œuvre sur laquelle portait ma maîtrise.

 

L.V.D.C. : Vous êtes philologue, et travaillez notamment à l’édition des textes antiques : que signifie « éditer un texte » pour vous ? Comment s’y prend-on ? Combien de temps cela nécessite-t-il ?

H. F. : Pour simplifier, je peux dire qu’éditer un texte, c’est choisir entre les différentes leçons, en essayant de remonter pour chaque famille de manuscrits au témoin le plus ancien. J’ajoute qu’il faut parfois se méfier des conjectures des éditeurs précédents…

 

L.V.D.C. : Vous avez édité et traduit plusieurs chants de Nonnos de Panopolis dans la C.U.F. : comment avez-vous découvert cet auteur et cette œuvre ? comment est né ce projet ?

H. F. : J’ai commencé à travailler sur Nonnos en DEA puis en thèse. Comme je voulais faire une thèse d’édition et de traduction de texte, j’ai contacté Jean Irigoin, qui était alors directeur de la Série grecque dans la CUF : c’est lui qui m’a indiqué quels auteurs étaient encore « disponibles ». J’ai choisi Nonnos de Panopolis et Jean Irigoin m’a mise en contact avec Francis Vian, maître d’œuvre du vaste projet d’édition des Dionysiaques.
Ma thèse a porté sur le chant XXXVII et a été publiée dans la CUF (tome XIII des Dionysiaques). J’ai ensuite travaillé avec Bernard Gerlaud sur les chants XXXV-XXXVI (tome XII).

 

L.V.D.C. : Quelle est l’histoire de ce texte ? Comment est-il parvenu jusqu’à nous, et jusqu’à vous ? Existe-t-il beaucoup de manuscrits de Nonnos ? L’un d’entre eux est-il particulièrement remarquable ?

H. F. : Il existe pour les Dionysiaques deux familles de manuscrits :
- l’une est très fragmentaire mais donne le nom de l’auteur ;
- l’autre est anonyme mais comporte les 48 chants ; cette famille, capitale pour l’histoire du texte, est issue de L (Laurentianus 32, 16, datant de 1280). Le manuscrit L a été copié au XVIe s (P : Palatinus Heidelbergensis gr.  85). Tous les recentiores sont issus de P, notamment les Vindobonenses phil. gr.  45 et 51 (F), sur lesquels a été établie l’editio princeps en 1569 à Anvers (édition Falkenburg).

 

L.V.D.C. : Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées ? Toutes ont-elles été surmontées ? Qu’est-ce qui a été le plus ardu, l’édition ou la traduction ?

H. F. : Le manuscrit L est de lecture malaisée, avec une écriture cursive chargée d’abrévations. Et, dans les années pendant lesquelles je travaillais sur l’édition de Nonnos, je ne disposais pas encore de tous les outils informatiques qu’il est possible d’avoir aujourd’hui. Dans le cadre d’un cours de Master, j’ai eu l’occasion l’année dernière de regarder de nouveau ce manuscrit, disponible maintenant en ligne. Il est certain que, quand on peut agrandir le texte, la lecture est beaucoup plus aisée…
De plus, devant les difficultés d’interprétation que présente dans de nombreux passages le texte du Laurentianus, les corrections proposées ont été nombreuses dans les éditions précédentes. Dans ces conditions, le rôle de l’éditeur consiste souvent à choisir entre les multiples corrections et conjectures de ses prédécesseurs. Toutefois, mon travail d’établissement du texte a été guidé par un principe constant : m’efforcer de comprendre la leçon de L, et ne la corriger qu’en cas d’absolue nécessité.
J’ajouterai enfin que la mutitude d’adjectifs composés présents dans les vers de Nonnos n’en facilitent pas la traduction.

 

L.V.D.C. : Pourquoi, selon vous, continuer de lire et de traduire Nonnos aujourd’hui ? Et plus généralement la littérature grecque et latine ?

H. F. : Selon moi, il est nécessaire d’accéder directement aux textes latins et grecs, sans dépendre des traductions effectuées par d’autres. C’est le seul moyen d’en percevoir le véritable sens … et aussi la beauté !

 

L.V.D.C. : Pour peut-être susciter quelques vocations parmi nos lecteurs, reste-t-il beaucoup à faire sur cet auteur (ou d’autres) au niveau de l’édition et de la traduction ? Des travaux sont-ils en cours ?

H. F. : Plusieurs chercheurs travaillent actuellement sur l’édition de l’autre œuvre de Nonnos : la Paraphrase de l’évangile de Jean.

 

L.V.D.C. : Parmi les autres philologues de la collection, qui admirez-vous le plus ? Pourquoi ?

H. F. : Sans aucune hésitation, Francis Vian, dont j’ai déjà parlé tout à l’heure. Il est décédé en 2008, peu de temps avant ma soutenance d’HDR, et je garde de lui le souvenir d’un maître qui était toujours attentif aux travaux de ses élèves. Je crois que tous se rappellent encore sa disponibilité, son aide constante et la pertinence de ses conseils, qu’il présentait pourtant comme de simples « suggestions ». Pour moi, il restera certainement celui dont le soutien a longtemps guidé mes recherches.

 

L.V.D.C. : Pour finir, pourriez-vous nous dire en quelques lignes quel est votre Budé préféré et pourquoi ?

H. F. : Je crois que je vais dire qu’il s’agit du 1er tome des Dionysiaques (dont le texte a été établi et traduit par Francis Vian), parce que c’est le volume qui m’a permis de découvrir Nonnos…

 

Dans la même chronique