Alors que nous avions le sentiment de toucher le fond, c’est-à-dire d’assister à la quasi- disparition des études classiques, en tout cas dans le secondaire, nous est arrivée la bonne nouvelle que nous n’attendions plus. Dès la campagne électorale pour l’élection présidentielle, Emmanuel Macron a souligné l’importance qu’il accordait au rétablissement de l’enseignement des humanités et des classes bi-langues, que le précédent gouvernement s’était attaché à supprimer. Nous ne pouvons évidemment que nous réjouir de ce changement ! Nous voici donc revenus au point de départ, autrement dit à la situation d’il y a trois ans. Faut-il pour autant s’en satisfaire ? Je crois que ce serait une lourde erreur d’estimer qu’une fois l’injustice réparée, il n’y aurait plus qu’à laisser les choses suivre leur cours. La situation qui précédait la funeste décision de la Ministre d’alors présentait certes des points positifs. Parmi ceux-ci soulignons l’enthousiasme de la plupart des enseignants, pour lesquels les humanités sont beaucoup plus qu’une discipline, une passion. À quoi il faut ajouter un travail d’éveil remarquable permettant chez beaucoup d’élèves la construction d’une véritable culture classique, appuyée souvent sur des outils informatiques bien adaptés. Ajoutons-y le travail sur la langue latine, important à la fois pour lui-même et comme moyen d’une immersion enrichissante dans les structures du français, mais aussi d’autres langues romanes. Tout cela ne peut cependant faire oublier les zones d’ombre, que l’on répugne parfois à évoquer, dans le souci de ne pas plomber encore un peu plus la discipline. Citons, en particulier, l’extrême variété des situations locales en fonction des possibilités, des choix et parfois des goûts des chefs d’établissement. Un horaire mal placé peut rapidement vider une classe. En outre, des pédagogies sans doute bien intentionnées, mais variant d’un établissement et parfois d’une classe à l’autre ne permettent pas un effort cohérent dans la durée, ce qui est pourtant la condition même de la réussite de cet apprentissage. Comment expliquer que les efforts déployés au collège pour donner aux élèves le goût des langues et cultures antiques n’aboutissent pas au maintien des effectifs de classes de langues anciennes au lycée ? Et comment ne pas mentionner une articulation généralement peu satisfaisante entre le secondaire et le supérieur, si l’on excepte les classes préparatoires, dont les effectifs sont pléthoriques alors que les départements de Lettres classiques ferment les uns après les autres ? Il serait évidemment présomptueux de prétendre détenir la solution à tous ces problèmes. Je reste persuadé cependant que l’on obtiendrait une amélioration significative en créant dès la classe de quatrième une filière d’humanités, rigoureusement définie, exigeante et s’appuyant sur des méthodes à la fois rénovées et soigneusement articulées avec des disciplines qui ont tout à gagner d’un rapprochement avec l’Antiquité. Il s’agit très explicitement de la littérature ou de l’histoire des arts, dont la disparition incompréhensible au Brevet a signé l’arrêt de mort, ou de façon moins évidente des sciences dont les enseignants sont souvent en mesure d’expliquer les origines antiques. Il ne s’agirait pas évidemment de créer une détermination définitive, mais d’indiquer avec une parfaite clarté une voie actuellement bien peu perceptible dans le maquis des options et d’obtenir les moyens de sa mise en œuvre. Celle-ci aurait pour ambition de conduire non seulement à l’enseignement des lettres classiques, dans un dialogue permanent avec le monde actuel, mais aussi à la prise en charge de tout ce qui, dans les patrimoines national, européen et méditerranéen s’enracine dans les cultures grecque et latine et fait prendre conscience de la synergie qui existe entre la littérature, la philosophie et les arts. Toute périphérie se définit par rapport à un centre, or, en ce qui concerne les Lettres classiques dans le secondaire l’impression prévaut actuellement d’une périphérie sans centre, ce qui est pour le moins déstabilisant. Exiger la création d’une filière humanités, ce serait offrir une solution d’avenir à tous les élèves qui auraient cette vocation et permettre la mise en place de formations d’initiation plus efficaces, parce que se greffant sur un tronc dont la légitimité ne serait plus contestée. Faudra-t-il donc attendre pour cela que des pans entiers de notre patrimoine deviennent incompréhensibles, faute d’antiquisants pour les expliquer et les transmettre ?