Les amis de Guillaume Budé - Le poète Maurice Scève, lecteur de Lefèvre d’Étaples

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Cette chronique  raconte la vie des Classiques à la Renaissance. Des contemporains de l’humaniste Guillaume Budé (1467-1540) permettent de voir comment l’Antiquité alimente la culture, la pensée et la langue de l’époque. Hommage à l’ancêtre du Gaffiot, l’imprimeur Robert Estienne est le premier invité des Amis de Guillaume Budé. Sa devise : « Noli altum sapere, sed time », c’est-à-dire « ne t’élève point par orgueil, mais crains ». 

Maurice Scève (environ 1500-1560), humaniste et poète, publie en 1544, à Lyon, un recueil de poésie amoureuse : Délie, objet de plus haute vertu. Après sa mort, paraîtra Microcosme, un ouvrage qui allie poésie et philosophie. Les deux recueils ont permis aux universitaires d’établir que Maurice Scève était un lecteur de Jacques Lefèvre d’Étaples.

 

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Illustration 1 : Portrait du poète Maurice Scève. Source : Université de Glasgow.

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Illustration 2 : Page de titre de Délie, objet de plus haute vertu (1544). Source : Université de Glasgow.


L’analyse des dizains de Délie permet d’établir une chronologie et les chercheurs sont d’accord pour situer la rencontre amoureuse de l’amant-poète avec sa dame en 1536. Cette même année voit mourir Érasme et Lefèvre d’Étaples. Or un dizain fait référence au décès des humanistes : « Aussi cet An par Mort, qui tout abrège, / France perdit ce, qu’a perdu Hollande. » En 1536, la France perd Lefèvre d’Étaples, comme la Hollande perd Érasme. Certains universitaires ont préféré voir une allusion à la mort de Guillaume Budé, même si celui-ci est décédé en 1540, « pour des raisons, semble-t-il, de stature intellectuelle, reconnue par Érasme lui-même » (Xavier Bonnier, « Troubles du monde, émois du cœur : retour sur les dizains politiques dans Délie de Scève », Revue d'histoire littéraire de la France 2011/1 (Vol. 111), p. 143, mais l’argument est faible.

L’identification de Lefèvre d’Étaples est d’autant plus probable qu’on sait que Maurice Scève connaît son travail tant de traducteur de la Bible que d’éditeur, et notamment éditeur de Denys l’Aréopagite – c’est-à-dire du Pseudo-Denys l'Aréopagite, un auteur chrétien du VIe siècle –, puis de Nicolas de Cues, théologien allemand du XVe siècle. « En reprenant les positions de F. Rigolot et de H. Staub, on peut faire l’hypothèse que Scève a lu, peut-être grâce à Lefèvre, les éditions de Cues et de Denys que celui-ci a rendu disponibles et que cela a innervé Délie autant que Microcosme. » (Michèle Clément, « "Je veux résoudre en mon fait l'impossible" (d. 280, v. 4) : Les régimes de la contradiction et leur horizon théologique dans Délie. » Le Verger, Cornucopia, 2012.

Michèle Clément relève une « hypothèse stimulante quoique non vérifiable » pouvant expliquer pourquoi Scève a composé 449 dizains pour Délie : cela pourrait « correspondre au nombre de fois où saint Paul cite le Christ dans ses épîtres selon Lefèvre ». Ce dernier a écrit, en 1523, au sujet de saint Paul : « Quatre cent quarante neuf fois ou plus, il a en ses épîtres nommé le nom de Jesus Christ » (Ibid.).

En outre, Maurice Scève semble avoir une bonne connaissance des traductions bibliques de Lefèvre d’Étaples : Michèle Clément a noté dans « deux psaumes mis en vers français par Scève et publiés dès 1542 […] des emprunts à Lefèvre d’Étaples » (Introduction à l’édition critique de Microcosme, Garnier, 2016, p. 83). Elle précise : « Le Nouveau Testament se résume presque dans Microcosme à [de] rares citations des Épîtres de Paul dont les paraphrases dans les vers scéviens sont d’ailleurs souvent assez proches du français de Lefèvre d’Étaples » (Ibid., p. 59).

Après cette incursion dans la poésie du XVIe siècle, nous consacrerons la prochaine chronique à Marguerite de Navarre, protectrice de Jacques Lefèvre d’Étaples. « Pour profiter à tous, de quelque condition que soient. »

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Illustration 3 : Dizain faisant peut-être allusion à Jacques Lefèvre d’Étaples. Source : Université de Glasgow.  

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