Sphyrènes d’Alexandrie,
par Cléopâtre-Alexandrine de Garamond
Prenons une bibliothèque d’Alexandrie avant J.-C. et une bibliothèque moderne. Nous remarquons aussitôt que la principale différence entre les deux modèles tient en un mot : ecdotique.
¶ ecdotique, du latin ecdoticus.
L’ecdotique est la science de l’édition des manuscrits. Le principe est simple : devant CCCLV variantes d’un mot notées dans IC manuscrits, un philologue s’attache à éditer ce qui relève de l’anecdote (au sens de Procope), rejetant en note ce qui est anecdotique. Exemple au hasard : César, La guerre des Gaules. Ça, c’est le titre français. Et en latin ? Là, les choses sérieuses commencent. Il y a ce qu’on appelle des variantes, qu’on trouve dans des manuscrits, qu’on conserve dans des bibliothèques, qu’on note sur un papier, qu’on édite et qu’on imprime dans des livres, qu’on vend à la Librairie Guillaume Budé. Restons au titre : on trouve le plus souvent de bello gallico. Mais des savants ont trouvé d’autres variantes, soit par ordre alphabétique :
de babelo gallico (Abraham 2006). de ballo gallico (Garros 1983). de bebelo gallico (Godard 1959). de bêêelo gallico (Aries 2007). de bellatro historio (Delon 1935). de bello poneso (Rastapopoulos 1932). de bello sangallico (Müsli 1998). de bello stellato (Lucas 1977). de berolino gallico (Merkel 2005). de bellvcio gallico (Chabat 2001). de diabolo gallico (Teuffel 1933). de gavllo gallico (Murville 1958). de cecilio gallego (Raspail 2014). de rebello gallico (Castro 1959). de belcasso gallico (Zolferino 2015), plus mauvaise de toutes les variantes, a pour seule vertu de flatter les potentats incultes. de belgico historio (Castar 1979) est risible mais plaît aux enfants qui débutent le latin, d’où sa valeur propédeutique. de ocatarinetobello gallico (Tiberix 1995) n’est qu’une traduction en vernaculaire prenant beaucoup de libertés avec les normes généralement admises dans le Quartier latin.
Une fois dressée la liste de toutes les variantes, il s’agit d’en retenir une-et-une-seule digne de figurer dans un Budé, et de rejeter impitoyablement les autres soit en note, soit en poubelle. Mais, dira-t-on : laquelle choisir ? Il y a deux écoles. L’école hypercritique n’admet aucun titre, estimant que César est mort avant d’avoir pu en choisir un – le titre étant, comme chacun sait, la chose la plus difficile à trouver, surtout s’il doit plaire aussi à Cléo et Césarion. L’école dite de la « nouvelle philologie » ne souhaite pas déprimer pour aussi peu, pourvu qu’on fasse bonne impression : elle admet tous les titres, sauf le très réactionnaire de bello gallico, rejeté en note, ce qui ne plaît pas à Clio.
Quant à nous, nous estimons que l’important réside surtout dans un chapitre « perdu », narrant les revers subis par César face à une irréductible tribu d’Armorique, dont l’incipit est : vicvs qvidam a gallis invictis habitatvs invasoribvs resistere adhvc non desinit… Une récente publication, fort heureusement, apporte du neuf sur cette question. L’important réside également dans le rôle irremplaçable joué par les bibliothèques dans la conservation de ces variantes, de la mythique Alexandrie à la miteuse BNF. Que ferions-nous sans elles ? Et sans les souris qui, chaque jour et chaque heure, abrègent la peine des philologues et allègent les notes des Budé ?
Bibliographie :
César, La guerre des Gaules ; trad. L.-A. Constans, corr. A. Baland. Les Belles lettres, Paris, 2013. (CUF. Série latine).
Dain (Alphonse), Les manuscrits. Les Belles Lettres, Paris, 2015. (Collection d’études anciennes. Série grecque).
Ferry (Jean-Yves), Conrad (Didier), Le papyrus de César. Albert René, Paris, 2015 ap. J.-C.
Rambaud (Michel), L’art de la déformation historique dans les commentaires de César. Les Belles Lettres, Paris, 2011. (Collection d’études anciennes. Série latine).
Timpanaro (Sebastiano), Genèse de la méthode historique de Lachmann, trad. Alain-Philippe Segonds et Aude Cohen-Skalli, Les Belles Lettres, Paris, à paraître en 2016.