Nous sommes en 15 après J.-C. Toute la Gaule est abrutie, gavée de pain et de jeux fournis par l’Empire. Toute ? Non. Dans une petite insula lutécienne, une décurie résiste encore et toujours à la bêtise, et publie chaque semaine une tablette satirique : Charlix.
Depuis qu’on avait trouvé dans la galette des Césars un gladium en lieu et place du traditionnel nez de Cléopâtre en pain d’épices, l’équipe se savait menacée. Charlix était une école de tolérance : Charbus adorait Momus, Cabus le dieu Dudus. Bolinscix, peu satisfait par l’offre du Panthéon, révérait Joliculus, divinité forgée de toutes pièces. Ils s’engueulaient fort, finissant toujours par honorer Bacchus dans des soirées œcuméniques, auxquelles mêmes les infidèles participaient. Charlix déplaisait à la dynastie des Stulti, à celle des Potenti, ainsi qu’aux rejetons issus des deux familles.
Un jour de Mercure, alors que l’équipe fêtait la sortie du dernier numéro, deux adorateurs d’une succursale non homologuée de la secte à Momo, imbibés de furie et de stultitia, firent irruption dans l’aula et défouraillèrent sans discernement, quoique systématiquement, décimant la cohorte. Le monde entier les pleura, y compris les despotes qu’ils pourfendaient. Habitués de la censure, de la discrimination, du fichage et/ou de la tabasse, ils vinrent tous, de Gaule, de Bretagne, de Judée, de Pannonie, de Germanie, de Numidie, pour rappeler combien ils tenaient en estime la liberté. Puis ils s’en retournèrent dans leurs provinces, voter des lois liberticides au nom de la liberté. La petite cohorte entra au Panthéon, qui devint aussitôt un joyeux fornix.
C’est pourquoi les médiathèques françaises dans le monde sont grandes (en particulier celle de l’Institut français de Budapest), qui donnent accès à une certaine idée du pluralisme, alors que la bibliothèque d’Alexandrie avant J.-C., qui ne pouvait s’abonner à Charlix en raison des dessins de P. Cyranus Naso qui indisposaient la reine d’alors, demeure très surfaite.
PS : Quant à ces atroces petits soldats du journalisme qui font rien qu’à s’abreuver de sang impur, je le dis, c’est pas pour cafter, ils feraient mieux de lire Averroès, de diffuser la musique de Lili Boniche et les films de Youssef Chahine.
Cléo
Bibliographie :
CEBE (Jean-Pierre), La caricature et la parodie dans le monde romain antique des origines à Juvénal. De Boccard, Paris, 1966.
ALBERTI (Leon Battista), Momus ou le Prince ; tr. Pierre Laurens. Les Belles Lettres, Paris, 1993.
AVERROES, Discours décisif ; éd. et tr. Marc Geoffroy et Alain de Libera. Garnier-Flammarion, Paris, 1996.
CHAHINE (Youssef), Le Destin, 1997.
DESPROGES (Pierre), Chroniques de la haine ordinaire. Seuil, Paris, 1997.
BONICHE (Lili), Il n’y a qu’un seul dieu. Warner France, 1999.
RUFFIN (François), Les Petits Soldats du journalisme. Les Arènes, Paris, 2003.