Prenons une bibliothèque d’Alexandrie avant J.-C. et une bibliothèque moderne. Nous remarquons aussitôt que la principale différence entre les deux modèles tient en un mot : olympiades.
¶ olympiades, du latin mens sana in corpore sano.
Il fut un temps où les jeux olympiques étaient si valorisés qu’un philosophe et pelleteur de nuages fameux estima qu’un étranger à la cité ayant pu empêcher un parricide méritait d’être « invité à siéger au premier rang pendant les jeux » (Platon, Lois, IX, 881b). Faut-il en déduire que les jeux du stade étaient en ce temps-là une école de vertu, une exhortation à la sagesse ? On pourrait le croire, à lire les témoignages assurant que Jules César jouait à la baballe avec ses copains (Macrobe, Saturnales, III, 6, 5) ou qu’Alexandre Sévère « après la lecture, s’adonnait à la gymnastique, au jeu de paume, à la course, ou à des luttes sans brutalité » (Histoire auguste. Vie d’Alexandre Sévère, XXX, 4). Mais avant de te réjouir, ô beau-frère inculte désireux de voir ton aboulie estivale adoubée par les Nobelix du monde antique, lis ce qui suit.
Le médecin Galien, Grec de Rome qui rodait dans les arènes pour se fournir gratis en blessures fraîches et cadavres chauds, traitait pour sa part les athlètes de bons à rien, leurs muscles enduits d’huile d’olive ne les rendant même pas aptes à « bêcher, moissonner, labourer, ou accomplir convenablement tout autre des travaux d’agriculture ! » (Exhortation à l’art médical, XIII, 1). Témoignage confirmé par bien des tablettes de l’époque, qui assurent que trop de boxeurs adulés étaient de petites frappes, une fois sortis du ring. Lisez Lucillius, envoyé spécial qui nous narre le triste sort du champion retraité : « Cléombrotos était pugiliste : il s’est retiré. Mais depuis son mariage, c’est à domicile qu’il a ses jeux Isthmiques et Néméens, avec leurs horions : une vieille femme bagarreuse qui cogne aussi dur qu’à Olympie, et la vue de son ménage lui donne plus de frissons que jadis celle du stade. Qu’il reprenne son souffle, elle le corrige : les coups de tout un match pour l’obliger à la riposte ! Riposte-t-il ? Elle le corrige encore ! » (Anthologie palatine, XI, 79). On pourrait ainsi multiplier les témoignages montrant en quelle estime on tenait les champions du temps.
On connaît encore le nom de certains de ces champions, tel cet Archippos de Mitylène « qui l’emporta sur ses concurrents à la boxe dans la catégorie adultes », grâce à Pausanias (Description de la Grèce, VI, 15, 1). C’est ici le lieu de constater que la melonite aiguë dont souffrent nos Ribéros, Platinos et Candéloros, et qui menace de distordre leurs lauriers chèrement gagnés, ne date pas d’hier. Quelques siècles avant l’invention du Canard enchaîné, Diogène se proposait de remettre à leur place ces présentoirs à lauriers. « Par Zeus, je suis le plus rapide des Grecs ! », fanfaronnait un cador. « Pas plus rapide tout de même que les lièvres ou les chevreuils : et néanmoins ces bêtes, les plus rapides de toutes, sont aussi les plus craintives ! » (Dion Chrysostome, IXe discours sur la royauté, § 14 ; in : Les Cyniques grecs. Fragments et témoignages des Cyniques, éd. L. Paquet, p. 204).
Jadis, il fallait sortir de la bibliothèque pour jouir du spectacle du stade : cruel dilemme pour les amateurs d’agonistique. De nos jours, grâce aux progrès accomplis par les belles lettres, plus besoin de choisir entre Plotin et Coubertin. Si vous passez par Rio cet été, mettez dans votre valise un volume d’Olivier Sers, et gardez un esprit sain dans un corps juvénal (XI, 356).
Bibliographie
Platon, Lois, texte établi et trad. par Auguste Diès. Les Belles Lettres, Paris, 1956. (CUF).
Les Cyniques grecs. Fragments et témoignages, par Léonce Paquet. Éditions de l’université d’Ottawa, Ottawa, 1975.
Anthologie grecque. Anthologie palatine. Livre XI, texte établi et trad. par Robert Aubreton. Les Belles Lettres, Paris, 1972. (CUF).
Pausanias, Description de la Grèce. Livre VI, 2e partie, texte établi par Michel Casevitz, trad. par Jean Pouilloux et commenté par Anne Jacquemin. Les Belles Lettres, Paris, 2002. (CUF).
Galien, Exhortation à l’art médical. Art médical, texte établi et trad. par Véronique Boudon. Les Belles Lettres, Paris, 2000. (CUF).
Histoire auguste. Vie d’Alexandre Sévère, texte établi et trad. par Cécile Bertrand-Dagenbach, apparat critique par Agnès Molinier-Darbo. Les Belles Lettres, Paris, 2014. (CUF).
Juvénal, Satires, trad. Olivier Sers. Les Belles Lettres, Paris, 2002. (Classiques en poche ; 61).
Macrobe, Les Saturnales. Livres I-III, introduction, trad. et notes par Charles Guittard. Les Belles Lettres, Paris, 1997. (La roue à livres ; 31).
Coubertin (Pierre de), « Mens fervida in corpore lacertoso », Revue olympique, n° 67-2, juillet 1911, p. 99-100.
Robert (Louis ), « Les épigrammes satiriques de Lucillius sur les athlètes. Parodie et réalités », in : L. Robert, Choix d’écrits (Les Belles lettres, Paris, 2007), p. 175-246.
Boudon-Millot (Véronique), Galien de Pergame. Un médecin grec à Rome. Les Belles Lettres, Paris, 2012. (Histoire ; 117).