Palmyre reconquise à la mi-mars par les forces russes et syriennes, c’est un site antique exceptionnel qui est rendu à la civilisation, mutilé, certes, mais toujours extraordinaire, stupéfiant de beauté. Les amoureux de l’antiquité classique ont pu se réjouir du concert que l’orchestre de Saint-Pétersbourg y a donné le 4 mai dans le théâtre romain, intact.
Hoc Jovis die quarto mensis Maii, animi omnium qui antiquitates cordi habeant gaudio perfusi sunt. Palmyrae enim sub dicionem Syrorum mense Martio redditae, idque auxilio Rutheni exercitus, in illo antiquo theatro quo tamquam carnificina hostis usus erat paucis mensibus ante, concentus mirae pulchritudinis editus est a Petroburgensibus musicis Classicam Symphoniam Sergii Prokoviev canentibus, Valerio Guerguiev moderante, cum sol pomeridianus in coronam audientium atque in amoenitatem illorum locorum radios suos infunderet, quem solem juvat utique hac occasione invictum appellare.
« Nos quidem, aiebat Paulus Valéry, gentes ad humanum cultum civilemque deducti, nos esse mortales jam habemus exploratum. » Interdum tamen haec sententia morosae sapientiae, quamvis mirum in modum exarata, refelli aut saltem temperari potest, quod memoria rerum gestarum semel et iterum Palmyrae evenit.
Illud enim felix lautumque oppidum fuit, in ea extrema orbis Romani parte quae ad orientem vergit atque in confinio Persarum positum, quem urbem turis, myrrhae, piperis, eboris, margaritarum, serici mercatura ditaverat, iis pretiosis mercibus ex India invehendis illincque in totum imperium Romanum exportandis. Illic hucusque eximiae ruinae extant, procul dubio e pulcherrimis quae a vetustate repetunt. Quae loca, proh dolor! cum mense Martio anni exacti ab exercitu Mahumetanae Reipublicae capta essent, calamitatibus afflicta sunt, nam isti bellatores, ardore fanatico incensi, monumenta deleverunt, museum diripuerunt, ejus praefectum, rude donatum, Longaevum Al-Assaad, senectute confectum, egregiae doctrinae, illustrem apud antiquitatis inquisitores, atrociter necaverunt.
Attamen non omnes sciunt Palmyram fortuna adversa usam esse antiquitus, idque ope ipsorum Romanorum, quod a saevitia etiam populi omni vita atque victu exculti numquam abhorruerunt. In illo enim egregio oppido regina magni animi orta erat, Zenobia nomine, quae, anno ducentesimo septuagesimo post Christum natum, toto Oriente potiri una cum filio Vabalato constituerat. Cui autem Aurelianus obviam venit, imperator strenuissimus atque pugnacissimus, quippe qui signum « manu ad ferrum » apud milites sibi meruisset, ut Volpicius in ejus Vita quae in Historia Augusta collecta est memorat (VI, 2), in quem etiam pueri Romani hanc cantilenam composuissent : « Mille mille decollavimus / Unus homo decollavimus. » Is Zenobiam vicit ; qua victoria parta, cum iterum Palmyreni seditionem fecissent, in eos tam crudeliter saeviit ut ipse postea haec scripserit, non indigna, fatendumst, atrocitate Mahumetanorum zelotarum qui nunc sunt: « Mulieribus non pepercimus, infantes occidimus, senes jugulavimus, rusticos interemimus. » Quin etiam Aurelianum Longinum rhetorem, Zenobiae consiliarium, supplicio adfecisse ferunt, eodemque pacto atque Mahumetani zelotae Longaevum Al-Assad.
At ipse pergit: « Cui terras, inquit, cui urbem deinceps relinquemus? », quod, nisi opinio nos fallit, si non hominibus, aedificiis tamen Aurelianum pepercisse sibi vult. Carnifices vero Rei Publicae Mahumetanae, quasi hominibus necandis eorumque supplicii imaginibus orbi terrarum ostentandis non contenti essent, ingens templum Solis in media porticu collocatum, sepulcrum turritum, arcum triumphalem, aliud fanum alteri deo Syriaco dicatum, signum leonis Minervae quo area musei ornabatur, pyrobolis malleove omnino deleverunt.
Quorsus tantus furor ? rogamus. Plerique putant istos barbaros, in suis religionibus perditos, alienas religiones, quamvis antiquissimas atque jamdudum a suis asseclis desertas, non tolerare. At videntur etiam Occidentis incolas ad indignationem provocare, cum habeant compertum illos monumentorum omne genus studiosos esse cultores quae supersint a rebus olim gestis.
At cum Rutheni symphoniaci in theatro Palmyreno sonos exquisitos ederent, humanitas illa loca iterum occupare videbatur. Spes enim barbariei vincendae nunciam redintegratur : exercitus Syrus Ruthenusque Reipublicae Mahumetanae tamquam de manibus bina extorserunt e quibus opes eorum constabant maxime, petrolium et opera artificiosa ; via terrestris Raccam versus, caput Rei Publicae Mahumetanae, militibus patefacta est, quod oppidum sunt qui putent oppugnari posse intra aestatem. Quid plura? Paulo post Palmyram receptam, Syri inspectores antiquorum monumentorum, parietinis exploratis, aedificia nuper deleta ex integro extrui posse adfirmaverunt.
Romam autem reversus, Aurelianus cultum Solis invicti magnifice instituit, novo templo in Campo Martio aedificato, diemque festum illi deo dicavit die solstitii hiberni, qui dies « natalis » vocatus est (inde saeculo post Christianorum Natalis), quod tunc lux diei rursus incipit crescere atque renasci, tamquam Romanum imperium, victoria Palmyrena adepta, e tot calamitatibus tertio saeculo acceptis renasci videbatur. Quin Palmyra nos quoque utamur quo in meliorem statum humanitatem redituram esse speremus in tempora ventura?
Palmyre resuscitée
Jeudi dernier 4 mai, tous ceux qui aiment l’Antiquité ont ressenti un transport de joie. Après que l’armée syrienne, aidée par les Russes, eut repris Palmyre, l’orchestre de Saint-Pétersbourg, sous la direction de Valeri Guerguiev, a donné dans le théâtre romain, aux lieux mêmes où Daech avait perpétré d’atroces exécutions, un concert d’une rare beauté, la Symphonie Classique de Prokoviev, dans la lumière d’une radieuse fin d’après-midi qui éclairait le public, les musiciens, et le merveilleux paysage du site. C’est vraiment ici le lieu entre tous où il faut évoquer Sol invictus.
« Nous autres civilisations, disait Valéry, nous savons à présent que nous sommes mortelles. » Il arrive que cette pensée, inspirée par une sagesse morose, soit, malgré sa forme admirable, sinon contredite, du moins nuancée par les faits. L’histoire ancienne et récente de Palmyre offre deux occasions d’y réfléchir.
C’était dans l’Antiquité une cité prospère, placée aux marches orientales du monde romain, à la frontière avec les Perses. Sa richesse provenait du commerce de l’encens, de la myrrhe, du poivre, de l’ivoire, des perles, de la soie, marchandises précieuses qu’elle importait de l’Inde pour les exporter dans l’ensemble de l’empire romain. Les vestiges de cette cité figurent encore parmi les plus beaux du monde antique. Mais le malheur s’est abattu sur ces lieux il y a un an, en mars 2015, après la prise de la ville par Daech, dont les combattants fanatiques ont détruit des monuments, pillé le musée, assasiné son conservateur à la retraite, Khaled Al-Assaad, un vieil homme respecté des spécialistes pour son érudition.
Tout le monde ne sait pas, en revanche, que Palmyre a déjà été éprouvée dans l’Antiquité, du fait des Romains eux-mêmes, car un haut degré de civilisation n’a jamais exclu la férocité. Dans cette ville d’exception, une grande reine était née, Zénobie, laquelle, en l’an 270 de notre ère, avait conçu le dessein de gouverner, conjointement avec son fils Vabalat, sur l’ensemble de l’Orient romain. Mais elle trouva sur sa route Aurélien, empereur énergique et d’un grand talent militaire. Il avait été surnomé par ses hommes « l’épée facile », comme le rapporte Volpicius dans la biographie qu’il lui consacre et qui fait partie de l’histoire auguste (VI, 2), et les enfants de Rome avaient composé sur lui la chanson suivante « Mille et puis mille en ai décapité / À moi tout seul, oui, tous décapités. » Il défit Zénobie, puis, cette victoire obtenue, comme les Palmyréniens s’étaient à nouveau soulevés, il châtia si durement les rebelles qu’il écrivit ces mots, que n’auraient pas reniés nos « djihadistes » : « Je n’ai pas fait de quartier aux femmes, j’ai tué les enfants, égorgé les vieillards, massacré les paysans ». On rapporte même qu’Aurélien aurait fait exécuter Longin le rhéteur, conseiller de la reine, de la même manière que les combattants de Daech ont exécuté Khaled Al-Assaad. Il ajoute cependant dans la même lettre : « À qui laisserai-je la ville et son territoire? », ce qui signifie, si je ne me trompe, qu’Aurélien, lui, avait épargné les constructions. Car les bourreaux de l’État islamique, non content de massacrer la population et de diffuser dans le monde entier les images de ces massacres, ont aussi fait exploser l’immense temple de Beel situé au centre d’une colonnade, un mausolée à tour, un arc de triomphe, un deuxième édifice religieux consacré à une autre divinité syriaque, et le « lion d’Athéna » qui décorait la cour du musée a été démoli à la masse.
Pourquoi tant de rage destructrice ? demandons-nous. La plupart des commentateurs l’attribuent à un fanatisme barbare intolérant même à l’endroit de religions disparues, qui n’ont plus aucun fidèle depuis des siècles. Mais c’est là aussi, semble-t-il, une façon de défier la culture occidentale qui comporte l’admiration pour les monuments historiques de toutes sortes.
Or voilà qu’au moment où le théâtre de Palmyre résonnait de la plus haute production musicale d’Occident grâce à l’orchestre russe, la Civilisation avait repris possession de ces lieux. L’espoir nous est rendu d’en finir avec la barbarie : les armées syriennes et russes ont arraché à l’État islamique ses deux grandes sources de financement propre, le pétrole et les objets d’art ; la route de Racca, la capitale ennemie, est maintenant ouverte aux forces terrestres, et d’aucuns pensent qu’elle sera conquise d’ici la fin de l’été. Est-ce tout ? Peu après la reprise de la ville, les inspecteurs des antiquités égyptiennes, après avoir visité le site, ont affirmé que les monuments détruits récemment pouvaient être reconstruits.
Aurélien, quand il fut rentré à Rome, fonda solennellement le culte de Sol invictus, « Soleil invaincu » (ou invincible), au moyen d’un nouveau temple bâti sur le Champ de Mars. Il lui consacra une fête le jour du solstice d’hiver qui fut appelé le jour « natal » (de là un siècle plus tard le Noël des Chrétiens), parce qu’à ce moment la lumière du jour rallonge et semble renaître, comme l’empire romain, grâce à la victoire sur Palmyre, semblait renaître après toutes les épreuves du troisième siècle. Pourquoi ne pourrions-nous pas utiliser nous aussi Palmyre comme symbole, pour nous donner foi en une renaissance possible de la civilisation, dans les temps à venir ?
Fabrice Butlen.