Priape & Vénus – Les sex-toys

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Jeune femme passionnée par la Rome antique, j’ai développé, au cours de mes études et au fil de diverses conférences et lectures, un intérêt grandissant pour la sexualité des Romains. Comment le sexe était-il perçu, pratiqué ou évoqué par nos ancêtres ? Voilà l’objectif de cette chronique qui tentera d’expliquer le présent par le passé.

Si la ville de Wépion en Belgique est principalement connue pour ses fraises, elle est aussi célèbre pour sa chasse aux sex-toys ! Cette dernière, organisée depuis 2010, a pour objectif de célébrer la vie intime, et de briser les préjugés liés à la sexualité, notamment sur le recours aux sex-toys. Un sex-toy est un jouet sexuel destiné à faciliter et augmenter le plaisir sexuel humain. Nous allons ici nous attarder sur le godemichet, accessoire en forme de phallus en érection employé pour reproduire la sensation de pénétration lors de la masturbation ou d’une relation sexuelle lesbienne. Et il ne fait aucun doute que les Grecs et les Romains le connaissaient et en jouissaient !

L’invention du godemichet est attribuée au dieu Dionysos (Clément d’Alexandrie, Contre les gentils II, 34). Ce dernier désirait visiter sa mère, Sémélé, aux Enfers, mais ne savait pas comment s’y rendre. Un berger du nom de Prosymnos accepte de l’aider, à la seule condition qu’à son retour le dieu lui accorde une faveur sexuelle. Dionysos accepte, et guidé par Prosymnos, plonge dans le lac de Lerne. À son retour, Dionysos a bien l’intention de tenir parole, mais Prosymnos est mort. Dionysos décide de s’acquitter de la faveur malgré tout : il taille un morceau de figuier en une forme phallique, et se masturbe sur la tombe du berger. Le godemichet était né !

La littérature antique, tout comme l’iconographie, nous montre l’existence du godemichet et son utilisation. Le godemichet était utilisé tant par les hommes que par les femmes. Il pouvait également être employé pour se masturber ou dans le cadre de relations homosexuelles, notamment lesbiennes. La fresque ci-dessus se trouve dans les thermes suburbains de Pompéi, et est la seule représentation de ce genre.

Image : Fresque de Pompéi

La littérature gréco-romaine comporte de multiples évocations du godemichet. Il existait différents termes pour l’évoquer. Ou plutôt, il n’y en avait pas vraiment ! En effet, les mots employés ont à l’origine une autre signification, bien souvent issue du monde musical. On va ainsi parler de plectre (plectrum, -i en latin, τὸ πλῆκτρον, -ου en grec ancien), baguette permettant de gratter les cordes de la lyre qui a pris un sens obscène et évoque le pénis ou un objet phallique. On le retrouve employé de manière obscène dans le roman d’Achille Tatius, Leucippé et Clitophon[1] :

Ἔπειτα κἀν τοῖς γυμνασίοις ἑωρῶμεν πῶς τὸ σῶμα ὑπηλείφετο καὶ πῶς πλέκτρον περιέβαινε καὶ τοὺς μὲν νεανίσκους, οἷς προσεπάλαιε, πρὸς τοὺς ἀνδρειοτέρους μάλιστα συμπλεκόμενος: οὕτως αὑτοῦ κέχρηται καὶ τῷ σώματι.

Nous vîmes ensuite dans les gymnases comment il se faisait enduire le corps et comment il enfourchait un plectre, en s’unissant principalement aux plus virils des jeunes gens avec lesquels il luttait ; c'est ainsi qu'il excerça aussi son corps.

Un deuxième terme qui évoque le godemichet est ὄλισβος, membre viril en cuir. L’olisbos est mentionné dans la Souda :

ὄλισβος· αἰδοῖον δερμάτινον, ᾧ ἐχρῶντο αἱ Μιλήσιαι γυναῖκες, ὡς τριβάδες καὶ αἰσχρουργοί· ἐχρῶντο δὲ αὐτοῖς καὶ αἱ χῆραι γυναῖκες.

olisbos : phallus en cuir, que les Milésiennes utilisent, de même que les tribades et les personnes obscènes ; y recourent aussi les femmes veuves pour elles-même.

Trois catégories de personnes font usage de l’olisbos selon la Souda : les tribades (femmes homosexuelles), les individus commettant des actions honteuses et/ou obscènes, et les femmes privées de leur mari. Le godemichet est fortement associé aux femmes, et à une sexualité obscène. Ce ne serait donc pas un outil employé par la majorité de la population.

Aristophane fait à plusieurs reprise mention de l’ὄλισβος dans la comédie Lysistrata. Dans cette pièce, alors qu’Athènes et Spartes sont en guerre, les femmes décident de faire une grève du sexe jusqu’à ce que les hommes arrêtent les combats. Mais cette abstinence sexuelle semble compliquée pour les femmes athéniennes. Leur appétit sexuel est tel qu’elles ont recours à la masturbation, et à l’utilisation de phallus en cuir[2] :

LYSISTRATA : Ne regrettez-vous pas les pères de vos petits-enfants que le service retient loin de vous ? Car je sais bien que toutes vous avez un mari absent.

CLÉONICE : Pour ce qui est du mien, voilà cinq mois, misère ! qu’il est loin, en Thrace, à surveiller Eucratès.

MYRRHINE : Et le mien est depuis sept mois entiers à Pylos.

LAMPITO : Et le mien, s’il revient quelquefois de son régiment, a vite fait de reprendre le bouclier, de s’envoler et de disparaître.

LYSISTRATA : Et des galants, il n’en reste pas non plus, pas l’ombre d’un. Car depuis que nous avons été trahis par les Milésiens, je n’ai pas seulement vu un olisbos long de huit doigts qui eût pour nous soulager avec son cuir. Consentiriez-vous donc, si je trouvais un expédient, à vous unir à moi pour mettre fin à la guerre ?

Nous constatons que les femmes athéniennes déplorent l’absence de relation sexuelles. Ce désir sexuel constitue bien sûr ici un ressort comique et caricatural. Néanmoins, il nous informe sur la perception du plaisir féminin : ce dernier est exclusivement lié à un phallus, réel ou imité. Le désir ne pourrait être assouvi que par la pénétration.

Du côté romain, le poète Martial fait allusion au godemichet dans ses épigrammes. Il est intéressant de noter qu’il ne mentionne pas le godemichet, donc l’objet, mais l’action qu’il permet de réaliser ; la pénétration. Dans les deux cas, il est question de femmes qui se « prennent pour des hommes » :

Quod numquam maribus iunctam te, Bassa, uidebam
     quodque tibi moechum fabula nulla dabat,
omne sed officium circa te semper obibat
     turba tui sexus, non adeunte uiro,
esse uidebaris, fateor, Lucretia nobis :
     at tu, pro facinus, Bassa, fututor eras.
Inter se geminos audes committere cunnos
     mentiturque uirum prodigiosa Venus.
Commenta es dignum Thebano aenigmate monstrum,
     hic ubi uir non est, ut sit adulterium.[3]  

Un mâle à tes côtés, Bassa ? Jamais je n’en voyais !
     Pas d’amant non plus, à en croire la rumeur publique,
mais empressée autour de toi, toujours, une nuée
     de demoiselles, sans l’ombre d’un homme :
pour moi tu étais, je le confesse, une Lucrèce.
     Mais c’est toi, Bassa, horreur ! qui faisais le baiseur.
Tu as l’audace d’accoupler une paire de chattes
     et ta Vénus monstrueuse simule l’homme.
Tu as imaginé un prodige digne de l’énigme thébaine :
     un adultère sans homme.

Bassa est une lesbienne. Néanmoins, ce que semble critiquer Martial ne sont pas tant les relations homosexuelles de Bassa que le fait qu’elle assume un rôle masculin en usant d’un simulacre de pénis. Un reproche similaire est fait par le poète au sujet d’une femme du nom de Philénis[4]  :

Pedicat pueros tribas Philaenis
Et tentigine saevior mariti
Undenas dolat in die puellas.

La tribade Philaenis sodomise de jeunes garçons et, plus furieuse qu'un mâle en ses emportements, elle épuise de ses caresses onze jeunes filles en un seul jour.

Dans ce deuxième extrait, il n’est plus question de relations lesbiennes. La femme en question, Philénis, est dépeinte comme bisexuelle et ayant des relations sexuelles avec des femmes et des jeunes garçons. Ce qui est intéressant est que même dans les relations hétérosexuelles, elle tient le rôle actif, comme le souligne l’emploi du verbe pedico, -are (sodomiser) par Martial. Il y a ainsi une inversion des attendus sociaux : l’homme devient passif et la femme active.

Le godemichet est également évoqué par Lucien dans le cinquième Dialogue des courtisanes. Megilla, née femme mais ayant les désirs d’un homme (nous avions déjà évoqué Mégilla dans la chronique traitant de la transidentité). Elle tente de persuader une autre femme, Leaena de s’unir à elle, et pour ce faire argumente qu’elle possède « un substitut de l’homme » (ἔχω γάρ τι ἀντὶ τοῦ ἀνδρείου). On ne peut qu’imaginer qu’elle fait référence à un sex-toy de forme phallique, instrument qui lui permet d’avoir des relations sexuelles comme un homme, c’est-à-dire de pénétrer sa partenaire.

Dans ces trois textes, les auteurs nous présentent des femmes homosexuelles qui endossent un rôle actif dans la relation sexuelle. Attitude qui est bien éloignée de l’attitude passive attendue des femmes. Le comportement de ces femmes est associé à la débauche et à une sexualité transgressive. Cela peut bien évidemment nous pousser à nous interroger sur la perception de l’homosexualité féminine, mais c’est une autre question.

Vient alors la question de l’utilisation du godemichet. Si l’on désire mimer une pénétration, et le geste masculin, il convient d’attacher le godemichet au niveau de son sexe. On obtient alors ce que l’on appelle aujourd’hui un gode-ceinture. La façon de porter le godemichet est précisée par le Pseudo-Lucien (Les Amours, 28) :

Que, ceintes de ces instruments infâmes artificiels, monstrueuse imitation dépourvue de semence, une femme couche avec une femme, comme le ferait un homme !

La nature de la ceinture permettant de maintenir en place le phallus lors de l’acte sexuel semble explicitée par Hérondas (Mimes, VI, 71) : « petites lanières de cuir, douces comme de la laine. »

L’olisbos est donc un objet en cuir imitant le sexe masculin en érection. Il peut être muni d’attaches en cuir afin d’être attaché à la taille afin d’imiter la pénétration lors d’un rapport sexuel saphique. Il va de soi qu’un tel outil n’est pas un indispensable des relations lesbiennes. Cela montre que la sexualité, même entre femmes, était perçue comme phallocentrique.

Tout cela pose indubitablement la question de la masturbation féminine. Si la sexualité est centrée sur le sexe masculin, comment est donc perçue la masturbation féminine ? On peut se masturber de diverses manières, que ce soit avec les doigts, un sex-toys ou un objet quelconque. Néanmoins, dans les texte antiques que nous avons étudié, nous constatons que la masturbation féminine est également une activité phallocentrique. Lorsqu’une femme veut se satisfaire, elle a recourt à un objet phallique. Mais est-ce la réalité, ou un fantasme masculin ? On peut s’interroger à la lecture de deux Priapées (26 et 32) évoquant des femmes qui utilisent le sexe en bois de la statue du dieu comme godemichet. On a la sensation qu’il semblait inconcevable qu’une femme puisse se satisfaire sexuellement seule, sans l’aide d’un homme ou d’un olisbos. Le fait est que l’ensemble des textes qui évoquent le godemichet et la masturbation féminine sont écrit par des hommes. Il se peut donc que le plaisir sexuel féminin, tel qu’évoqué dans la littérature, est perçu et décrit de manière sexiste et misogyne.

Cependant, l’usage de l’olisbos est moqué et critiqué tant pour les hommes que pour les femmes. Le problème pour les hommes est qu’ils endossent le rôle passif de la relation. Les femmes deviennent quant à elles actives. L’olisbos perturbe donc les conventions sociales et sexuelles. Les personnes qui recourent à un godemichet sont considéré comme ayant un comportement déviant, et ce quel que soit leur sexe.

Encore aujourd’hui, il existe des préjugés sur les sex-toys, et une gêne associée à la masturbation féminine. La parole à ce sujet se libère toutefois considérablement chez les nouvelles générations. Cette libération fut aidée par les réseaux sociaux et notamment grâce à des comptes dédiés à la sexualité féminine. Espérons qu’un jour la sexualité féminine et le désir sexuel des femmes soient considérés de la même manière que celui des hommes !

 


[1] Achille Tatius, Le Roman de Leucippé et Clitophon, VII, 9, 4, texte établi et traduit par J.-Ph. Garnaud, éd. Les Belles Lettres, Paris, 1991.

[2] Aristophane, Lysistrata, v. 99-112, in Comédies. Tome III, texte établi par V. Coulon et traduit par H. Van Daele, éd. Les Belles Lettres, Paris, 2009, 2ème édition, 13ème tirage.

[3] Martial, Epigrammes, XC, in Tome 1, texte établi et traduit par S. Malick-Prunier, éd. Les Belles Lettres, Paris, 2021.

[4] Martial, Epigrammes, LXVII, in Tome 1, texte établi et traduit par H. J. Izaac, éd. Les Belles Lettres, Paris, 1969.

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