Chroniques anachroniques - Anti-morosité V : la joie dans le vin

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À un moment où l’information fuse de toutes parts, il nous a paru intéressant de l’ancrer dans des textes très anciens, afin que l’actualité et l’histoire se miroitent et s’éclairent dans un regard tantôt ou tout ensemble stimulant et amusé, songeur ou inquiet.

Par ces temps incertains, il est réconfortant de se savoir héritiers d’une culture de l’ivresse, transmise par les Grecs et les Romains, sans oublier le fait que nous sommes un pays de grands cépages, buveurs de vin plutôt que buveurs de bière (selon une démarcation de l’ethnologie gréco-romaine). Boire ensemble nous manque, ce « sym-posion », haut rituel de la Grèce dès ses commencements. Le symposion dionysiaque est devenu pour la majorité des Grecs une pratique culturelle identitaire et la poésie qui s’y chantait était à son tour exhibée dans les concours panhelléniques. C’est sous le nom d’Anacréon, un Ionien d’Asie du VIe s. av. notre ère (ou bien une figure générique) que toute une lyrique du banquet s’est formée, qui célébrait l’aimer, le boire et le chanter. Voici un exemple de monodie anacréontique (dont s’inspirera Ronsard) et qui justifie le besoin de boire plaisamment, comme une loi cosmique, universelle et qui touche jusqu’aux astres, qui correspond également aux croyances physiques de ce temps-là.

La mer noire boit,
Et les arbres la boivent.
La mer boit les vents,
Et le soleil la mer
Et la lune le soleil.
Pourquoi me faire la guerre, compagnons,
Parce que je veux boire aussi ?

Anacréon, Fragment 21

La consommation de vin appartient au temps social, tel un « lubrifiant » (O. Murray) notamment celui du banquet, qui suit le dîner, et qui est masculin. Boisson identitaire, le vin, en Grèce, définit des catégories socio-économiques. La bienséance du banquet vise à contenir l’ivresse et à émanciper les inhibitions dans une certaine mesure, en procédant au mouillage du vin avec de l’eau. Les fameux cratères grecs, que l’on a même retrouvés en plein monde celtique, du grec kerannumi « mélanger », servaient à proportionner l’eau et le vin, pour éviter ses effets néfastes. Les crus les plus célèbres sont ceux des îles, Chios et Lesbos, et leur texture s’avérait liquoreuse et épaisse. Il se buvait chaud ou frais. Indépendamment des diverses libations, chaque symposion, chaque potos (le fait de boire) s’accompagnait d’un toast (c’est bien la tranche de pain grillé qu’au Moyen Âge, en Angleterre, on trempait dans son verre avant de le lever à la santé d’une personne). Souvent bu pur, le toast est un geste d’amitié, de respect, de politesse et d’hommage. Le convive interpellé par la louange rend la politesse, mais il n’est pas rare de rendre l’hommage collectivement, de la gauche vers la droite, en faisant circuler la coupe.

Plus ludique, un jeu très répandu au Ve-IVe s av. notre ère, celui du cottabe (jeu d’origine sicilienne), où un invité, en appui sur le coude gauche, la coupe maintenue entre deux doigts par l’anse, tâchait de lancer les quelques gouttes de vin restant, en prononçant le nom de la personne aimée, à un endroit précis fixé comme cible (scène visible sur de nombreux vases). Variante du jeu, le vase qui servait de but pouvait être rempli d’eau, avec de petites soucoupes surnageant, qu’il s’agissait de couler, ou bien un petit plateau en équilibre sur une tige verticale qu’il s’agissait de faire tomber. Dans cette ambiance, le succès était de bon augure. Assurément, un jeu de société bien euphorisant !

 

Christelle Laizé et Philippe Guisard

 

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