L’opéra est encore jeune, mais de Monteverdi à Wagner, il a créé son Antiquité. En chantant le mythe et la tragédie, l’art lyrique s’invente et rêve les Anciens.
Le livret de Pelleas et Mélisande est semé d'indications de lumière, diffuse ou découpée, stellaire ou réfléchie. Les amants disent ces variations. Ils cherchent la « clarté » et « regardent la lumière ». Leur amour secret les transforme en visions.
L'opéra est certes inspiré de la légende de Tristan, mais n'oublions pas que Mæterlinck se réclame par ailleurs d'une Antiquité « mystique ». Il cite le néoplatonicien Plotin dans Le Trésor des humbles, précisément lorsqu'il invite à une tension de l'âme vers la lumière elle-même, au-delà des choses éclairées par elle. Par cet effort spirituel, la vision pure tend à imiter la lumière idéale qu'elle vise.
La musique de Debussy fait bien sûr résonner ces éclaircies symboliques. Elle est le sur-entendu de tous les non-dits, auxquels répondent de subtils jeux de lumière, principal « décor » de la mise en scène de Robert Wilson. Ironie de la clarté, la lumière-musique déjoue sa propre transparence, qu'elle soit verbale, musicale ou manifeste.
Claude Debussy, Pelléas et Mélisande (1902). Livret de Maurice Mæterlinck (1893). Mise en scène de Robert Wilson, crée à l'Opéra Garnier en 1997. Dirigé cette année par Philippe Jordan à l'Opéra Bastille. Un extrait audio-visuel : La chanson de la tour.
Plotin, Première Ennéade, Belles Lettres, 1997, 2015.
Plotin, Cinquième Ennéade, Belles Lettres, 1931.
Mæterlinck, Le Trésor des humbles, 1896, Mercure de France.
Passages de Plotin cités par Mæterlinck dans Le Trésor des humbles (1896) : Ennéades, I, 6, 9 ; V, 5, 7 ; V, 8, 13.