L’opéra est encore jeune, mais de Monteverdi à Wagner, il a créé son Antiquité. En chantant le mythe et la tragédie, l’art lyrique s’invente et rêve les Anciens.
Dès l’ouverture, Tannhäuser est traversé par le conflit de deux thèmes musicaux : le chant solennel des pèlerins et la danse haletante de Vénus. Le jeune chevalier est déchiré entre les plaisirs païens de la grotte enchantée et l’amour de la pure Elizabeth, entre l’amour charnel et l’amour spirituel, qu’il ira chercher à Rome sans succès. Il faut dire que le Mont de la Déesse n’était pas propice au recueillement. Wagner l’a caricaturalement peuplé de Nymphes, Bacchantes, Faunes, Grâces, Sirènes, et de quelques Amours.
Comme l’a noté Baudelaire, la Vénus moyenâgeuse de Tannhäuser n’est plus très Antique, « en descendant sous Terre, elle s’est rapprochée de l’Enfer ». Mais n’est-elle pas d’autant plus romantique ? La bacchanale de Vénus ouvre le drame, avec une chorégraphie débridée de Sasha Waltz. Et Wagner donne complaisamment toute sa force à cet hymne jusqu’au dernier acte. Entretemps, ni le pèlerinage à Rome, ni la conversion d’éros en pur amour ne seraient un miracle si le Venusberg n’avait tant de séductions...
J.T.
Richard Wagner, Tannhäuser (1845). Production du Staatoper im Schillertheater, Berlin. Direction Daniel Barenboim, Chorégraphie et mise en scène par Sasha Waltz, Peter Seiffert (Tannhäuser), Ann Petersen (Elizabeth), Marina Prudenskaya (Vénus). Un extrait audio-visuel.
Baudelaire, Richard Wagner et Tannhäuser à Paris, Les Belles Lettres, 1994.