La parrhèsia, c’est étymologiquement « tout dire », ce qui ne signifie pas pour autant se percevoir comme le détenteur de la vérité. Le parrhésiaste est celui qui s’engage dans ce qu’il croit être le vrai, sans craindre d’affronter les préjugés, de perturber le confort nécessairement éphémère que créent les idées reçues. Le but de cette chronique n’est pas de provoquer pour le plaisir stérile de provoquer, mais d’établir un dialogue exigeant avec tous ceux que la crise actuelle des lettres classiques inquiète profondément, tous ceux qui ne croient pas qu’il suffise d'attendre benoîtement que de très hypothétiques vaches grasses succèdent à de très réelles vaches squelettiques, tous ceux qui savent que dans le domaine réputé minuscule des humanités se joue aussi le sort de notre culture.
Cela n’est un secret pour personne, tous les mariages ne sont pas heureux. Beaucoup sombrent dans l’indifférence et les séparations sont de plus en plus nombreuses. Pour autant on ne convoque pas les couples tous les deux ans pour qu’ils viennent exposer leurs problèmes devant une commission à qui serait attribuée la mission de les aider à sortir des ornières dans lesquelles ils se seraient nécessairement égarés. Je sais que cette comparaison avec les nouvelles dispositions sur la thèse est passablement boiteuse, en particulier parce qu’il est — en principe — plus facile de divorcer que de se séparer de son directeur de thèse. Je n’ignore pas non plus tous les dysfonctionnements du système actuel : il est des directeurs qui se soucient bien peu de leurs thésards, comme il est des thésards qui considèrent leur directeur comme un simple auxiliaire qu’ils peuvent déranger sans aucune retenue. Dans le même temps, cette réforme me paraît tout simplement mauvaise, parce qu’elle renforce la tendance actuelle à construire d’invraisemblables usines à gaz là où autrefois on pensait que la liberté et la responsabilité d’un universitaire étaient ses biens les plus précieux. Il n’est plus aucun acte d’un enseignant qui ne donne lieu à une « évaluation », à une analyse critique dans laquelle, au milieu d’une nuée de mouches du coche, il est le plus souvent considéré comme un irresponsable, au moins virtuel. Quiconque a rempli un bon de commande sait que pour la moindre somme dépensée sur une ligne budgétaire, il lui est demandé une masse de justificatifs redondants qui font de lui un suspect a priori. On veut bien croire que transformer l’Université en un gigantesque panoptique relève d’une bonne intention, mais cela n’aboutit qu’à rendre encore plus pesante l’atmosphère qui y règne. Il en est de même pour la confusion entre uniformisation et rationalisation. Il y a des thèses qui peuvent se faire en trois ans, il en est d’autres qui exigent plus de temps, parce que le sujet est particulièrement complexe, ou parce que le thésard travaille moins vite que d’autres, ce qui ne signifie pas qu’en fin de parcours sa recherche sera moins bonne. Il m’est arrivé de voir arriver au bout de sept ans une thèse exceptionnelle que je n’attendais plus. Faut-il rappeler que l’antique thèse d’État exigeait au moins dix ans, sans que pour autant cela mît en péril la qualité générale de la recherche ? Raccourcir la durée de préparation, rendre les conditions de réinscription de plus en plus difficiles, aligner les sciences humaines sur les sciences dites dures, c’est par delà la novlangue habituelle, inciter à la médiocrité, d’autant plus que la pénurie de postes crée une légitime angoisse chez les jeunes chercheurs. Quant au primat affirmé du collectif sur l’individuel, il relève beaucoup plus de l’institutionnalisation administrative que d’une prise en compte des conditions réelles de la recherche. Le thésard enfermé dans un tête-à-tête angoissant avec son directeur existe peut-être encore, mais il n’est certainement pas majoritaire. La plupart des jeunes chercheurs voyagent beaucoup, assistent à un grand nombre de séminaires et vont consulter ceux qui, de près ou de loin, travaillent sur leur sujet. Les faire comparaître devant une assemblée dont beaucoup de membres ne connaissent pas grand chose à leur sujet risque d’être, le plus souvent, un exercice inutile. Quant à la prochaine réforme, les paris sont d’ores et déjà ouverts. Personnellement je miserais sur l’obligation de publier la thèse sur Facebook avant même la diffusion, histoire d’en accroître la diffusion et de recueillir le maximum d’avis qualifiés.