Et que vient-il faire sur le site de la Vie des Classiques ? |
Si Robert Estienne a été convié ici par son ami Guillaume Budé, c’est qu’on lui doit l’ancêtre du fameux Gaffiot. Ce dictionnaire français-latin utilisé par des générations de latinistes trouve sa source au XVIe siècle. Robert Estienne est en effet considéré comme le père de la lexicographie grâce à trois publications : celle du Thesaurus Linguae Latinae (1531), celle d’un Dictionarium latino-gallicum (1538) et celle de son pendant, le Dictionnaire françois-latin (1539). Notre prochaine chronique sera donc consacrée au Dictionnaire françois-latin, lointain aïeul du Gaffiot. N’anticipons pas et revenons à la question initiale : qui était Robert Estienne ? Pour répondre, commençons par le début bien avant que Robert Estienne ne soit lexicographe, ou l’ami de Guillaume Budé. |
Tout commence avec Henri Estienne au début des années 1500. Cet imprimeur installe famille et atelier à Paris. C’est là que naîtra, en 1503, son fils Robert. Imprimeur éclairé Henri Estienne favorise l’éducation humaniste de ses fils et leur apprentissage de libraire-imprimeur. La femme d’Henri Estienne se retrouve veuve en 1520 et épouse l’associé de son défunt mari, Simon de Colines. C’est donc avec son beau-père que le jeune Robert Estienne poursuit sa formation et corrige les copies d’une édition de la Bible. En 1526, Simon de Colines ouvrant sa propre imprimerie, Robert Estienne se retrouve à la tête de l’imprimerie familiale. Il garde la marque de l’olivier – inspirée par sa grand-mère Laure de Montolivet – et ajoute une devise qui est une citation de saint Paul : « noli altum sapere » (Romains 11, 20) qu’il complète parfois avec la suite du verset « sed time » et que l’on peut traduire par « Ne t’élève point par orgueil, mais crains ». Robert Estienne fait ainsi preuve d’humilité intellectuelle. |
Précisons que deux ans plus tard, Robert Estienne épouse Perrette Bade, la fille d’un humaniste et imprimeur d’origine flamande, Josse Bade. Le couple aura neuf enfants. Robert Estienne travaille à une nouvelle traduction de la Bible en latin, édition qui déplaît à la Sorbonne, mais à laquelle est accordée un privilège royal. Ce document – publié dans l’ouvrage – donne à la fois une autorisation de publication et une protection à l’imprimeur. Quelle protection ? Un privilège accorde à un imprimeur donné (ici Robert Estienne) l’autorisation de publier un livre donné (dans notre cas une traduction de la Bible en latin) souvent pour une période définie pendant laquelle seul cet imprimeur a le droit de publier l’ouvrage en question. Tout en poursuivant ses études bibliques, Robert Estienne s’entoure d’humanistes qui seront ses collaborateurs, comme son ami Guillaume Budé, dont nous reparlerons dans une prochaine chronique. Robert Estienne publie des textes latins et hébreux, dont les œuvres de Térence, qui seront éditées quatre fois en dix ans (1526-1536) et dont la dernière édition comporte des annotations d’Erasme. Sa démarche est soutenue par le roi François Ier, qui accorde systématiquement des privilèges royaux aux ouvrages d’Estienne à partir de 1537. En 1539, Robert Estienne est nommé imprimeur du roi pour les langues hébraïque et latine. Conrad Néobar est l’imprimeur du roi pour la langue grecque et à sa mort en 1544, Robert Estienne prend sa charge. Il collabore alors avec le graveur et fondeur Claude Garamond pour la réalisation des caractères grecs, les célèbres caractères « grecs du Roy ». Ces caractères sont utilisés pour la première fois lors de l’édition de l’Histoire ecclesiastique d’Eusèbe de Césarée en 1544. Des éditions de grande qualité se succèderont dans l’imprimerie d’Estienne. La prospérité financière de l’imprimerie et la protection de François Ier (qui meurt en 1547) ne permettent pas à Robert Estienne de lutter contre les persécutions de la Sorbonne. Il quitte alors Paris pour Genève en 1550. Son frère cadet, Charles, prend sa succession à l’imprimerie Estienne. Robert Estienne se convertit au calvinisme et publiera de nombreux ouvrages réformés à Genève où il ouvre un atelier. Veuf peu avant son départ de Paris, il se remarie avec Marguerite Deschamps, dite Duchemin. Robert Estienne travaille activement jusqu’à sa mort en 1559. Ses fils, et notamment Henri (dit Henri II – 1528-1598), reprendront et poursuivront son œuvre. |
Maintenant que les présentations sont faites, amis des classiques, vous êtes invités à découvrir le premier Dictionnaire françois-latin dans deux semaines et cinq cent vingt-sept pages : « noli altum sapere, sed time ».
Illustrations :
1. Portrait de Robert Estienne. Source : Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, RESERVE QB-201 (4)-FOL – Gallica.
2. Portrait de Robert Estienne. Source : Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, RESERVE QB-201 (4)-FOL – Gallica.
3. Page de titre d’un ouvrage de Robert Estienne, Les Mots françois selon l'ordre des lettres, ainsi que les fault escrire, tournez en latin, pour les enfans (1544), sur laquelle nous pouvons voir la marque de l’olivier avec la devise « noli altum sapere ». Source : Bibliothèque nationale de France – Gallica.
4. On lit la devise complète de Robert Estienne – « noli altum sapere, sed time » – sur cette page de titre d’un Alphabetum græcum […] Alphabetum hebraicum (1528). Source : Bibliothèque nationale de France, département Réserve des livres rares, RES-X-1707 – Gallica.