Guillaume Budé vu par Robert Estienne

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Guillaume Budé, homme le plus savant de tous ceux qu’a portés notre époque, et qui a le mieux mérité des bonnes lettres, peu avant qu’il ne quitte la vie, avait entrepris, tant de son propre chef qu’à l’instigation d’amis qui lui disaient aussi désirer ce travail de sa part, un ouvrage très utile, par lequel tout ce qui, de coutume, au forum et dans les jugements, est signifié de quelque façon que ce soit dans la langue très corrompue des praticiens, puisse être exprimé en un latin pur. Comme, emporté par une mort subite, il avait laissé cet ouvrage inachevé, bien que presque conduit à son terme, de sorte qu’il n’avait pas non plus suffisamment décidé en son esprit quel titre il voulait pour le livre terminé, les enfants de Budé, mus certes par une grande bonne volonté envers la république des lettres, mais un non moins grand respect filial envers leur père, craignant que sa réputation ne soit diminuée si venait au public un livre commencé par leur père mais sans qu’il l’eût poli de la dernière main, le retinrent longtemps, et, malgré les demandes répétées des amis de leur père pour que le livre sortît, persévérèrent à se faire prier sur ce point, c’est-à-dire qu’ils disaient exactement qu’ils ne pouvaient pas. […] ils finirent un jour par céder, et accordèrent la faveur à ceux qui la demandaient : ils nous autorisèrent le livre avec la règle suivante, à savoir que nous l’imprimions sur nos formes après l’avoir le plus diligemment possible collationné sur l’exemplaire original, et transcrit en prenant comme garants de très grands savants, à qui et l’esprit et la main de leur père ne seraient pas inconnus (car n’importe qui ne saurait lire sans difficulté un autographe de Budé, parce que celui-ci avait une façon d’écrire propre, assez différente de celle du commun). Chose que nous avons faite avec autant de loyauté et de diligence que possible.

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Tu as donc, studieux lecteur, un bien grand ouvrage, et, bien que posthume à son auteur, non moins utile que ceux, nombreux et particulièrement utiles, que Budé a publiés lui-même de son vivant. En effet, rien à peu près de notre vie publique ne peut être conçu sans que tu en trouves ici des façons multiples et variées de le signifier en latin : en sorte que les ressources si grande de la langue latine n’ont pu être rassemblées et préparées que par Budé, c’est-à-dire par un homme au style des plus abondants, dont toute l’étude s’est toujours appliquée à maîtriser les possibilités des deux langues le plus amplement possible, pour exposer le plus commodément toute chose par les mots. […] Excellent lecteur, jouis-en [du livre] donc toi-même, et remercie Budé mort, dont le zèle, de son vivant, n’a jamais faibli pour la promotion des études publiques. 

Extrait de la préface des Forensia (1544) traduite du latin par Martine Furno (« Robert Estienne, imprimeur des Forensia de Guillaume Budé, et la notion d'auctoritas », Qui écrit ? : figures de l'auteur et des co-élaborateurs du texte, XVe-XVIIIe siècle, ENS Éditions, Métamorphose du livre, 2009, p. 201-203).

© ENS Éditions

[…] comme notre forum était prostré depuis de nombreux siècles dans cette sorte de souillure, et pauvreté de la langue latine, Guillaume Budé, Parisien, homme noble parmi les premiers en sa maison, et célèbre dans l’étude des lettres, nous apprit le premier que les disputes des juges et de notre forum pouvaient s’exprimer en latin, et il ramena au vrai usage de la langue des Anciens la façon de parler des praticiens. […] parce que ce travail réclame un homme non seulement extrêmement expert dans les formules des deux provinces, mais également très savant en latin, à cause des prolepses incessantes de Budé et de sa manière figurée de parler, se chargea enfin du soin d’une si grande œuvre, Jean Du Luc, Parisien, homme qui est facilement le prince des praticiens de son ordre […].

Extrait de la préface des Indices (1545) traduite du latin par Martine Furno (« Robert Estienne, imprimeur des Forensia de Guillaume Budé, et la notion d'auctoritas », Qui écrit ? : figures de l'auteur et des co-élaborateurs du texte, XVe-XVIIIe siècle, ENS Éditions, Métamorphose du livre, 2009, p. 204).

© ENS Éditions

Et pourtant que presque en chasque page à la fin de l’explication d’aucuns mots, a esté apposée ceste lettre B, de laquelle ne scaurois la signification : sois certain que le plus grand nombre des mots Latins bien exposez icy en Francois sont de feu monsieur Budé, qui sur tous autres, et entre autres dons a eu cestuy de notre Seigneur, de bien entendre les mots et manieres de parler tant Greques que Latines : et les Greques bien et proprement expliquer en Latin, Et les Latines en Grec, ou en Francois : tellement qu’il n’est memoire de son pareil. Tous ces mots innumerables par luy expliquez nous n’avons maintenant marquez d’ung B : ains seulement ceux que depuis sa mort avons transcript d’aucuns de ses livres à nous par ses enfans communiquez d’une singuliere affection (suyvans leur pere) qu’ilz ont de vouloir aider à tous studieux des langues : tant que jamais ne nous ont rien refusé, fust en Grec, ou en Latin, de tout ce que leur pere avoit laissé par escript, qu’ilz ayent estimé à tous povoir prouffiter. 

Extrait de la préface de la seconde édition du Dictionnaire François-latin de Robert Estienne (1549).

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1. Portrait de Guillaume Budé. Source : Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg, NIM15641 – Gallica.

2. Début de la préface des Forensia de Guillaume Budé par Robert Estienne. Source : Bibliothèque nationale de France – Gallica.

3. Texte « au lecteur » ouvrant la seconde édition (1549) du Dictionaire francois latin de Robert Estienne. Source : Bibliothèque nationale de France – Gallica.

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