Cette chronique raconte la vie des Classiques à la Renaissance. Des contemporains de l’humaniste Guillaume Budé (1467-1540) permettent de voir comment l’Antiquité alimente la culture, la pensée et la langue de l’époque.
1265-1321. Les dates sont formelles : Dante Alighieri est un auteur médiéval. Pourtant, il est souvent considéré comme le premier humaniste. Aujourd’hui, il est l’invité d’honneur de la La Vie des Classiques dans le cadre de chroniques sur l’humanisme. Un premier volume de sa Correspondance vient d’être publié aux Belles Lettres dans la collection des « Classiques de l’humanisme ». Devons-nous dire comme Lucien Febvre : « Dante humaniste, j’entends. La formule est inévitable. » (Lucien Febvre, « Le Dante d’Augustin Renaudet », in Annales. Economies, sociétés, civilisations, 8e année, N. 2, 1953, p. 222.) ?
Benoît Grévin reconnaît dès la préface de son édition de la Correspondance (dont le tome 1 vient de paraître aux Belles Lettres) que la position de Dante est compliquée : « l’on pouvait légitimement hésiter, dans le cas de Dante, à cheval entre le Moyen Âge et la Renaissance, entre une publication dans la collection des “Classiques de l’humanisme”, et dans celle des “Classiques de l’histoire du Moyen Âge”. » (p. XXV-XXVI) Le traducteur et commentateur invite à suspendre son jugement : « À la fois homme du Moyen Âge, solidement enraciné dans le Duecento toscan qui l’a vu naître, et l’un des génies annonciateurs de la Renaissance, il ne peut pourtant être rangé avec les deux autres couronnes florentines, Pétrarque et Boccace, parmi les pères de l’humanisme, sans qu’aussitôt s’impose la nécessité de tempérer cette vision. » (p. IX)
Même Augustin Renaudet, à qui l’on doit Dante humaniste (Paris, Belles Lettres, 1952), replace l’auteur au cœur du Moyen Âge : « Analyser l’humanisme de Dante équivaut à étudier, dans un cas éminent, le problème de l’humanisme médiéval, de l’humanisme éternel et d’une première apparition de la Renaissance au cœur d’une œuvre qui est comme le testament intellectuel, moral et religieux du Moyen Âge. » (p. 30) Ce qui n’empêche pas Augustin Renaudet de souligner la culture (et même l’érudition !) classique de Dante et de montrer comment il puise à la sagesse gréco-latine.
Les historiens tendent d’ailleurs à montrer que la Renaissance est dans la continuité du Moyen Âge, qu’il y a moins de fractures qu’il n’y paraît. Jacqueline Risset, notamment traductrice de la Divine Comédie, écrit dans un article : « Dante apparaît pour ainsi dire être la preuve de cette continuité. Intensément lié à l’Antiquité latine, il imprègne les écrits de la Renaissance, qu’il annonce par l’humanisme qu’il incarne dans son amour du savoir. » (« Dante humaniste », in Revue des deux mondes, septembre 2011, p. 124)
Amour de la connaissance et désir de connaître sont centraux chez Dante, ainsi que l’idée de la dignité de l’homme, et ces principes sont évidemment ceux-là même de l’humanisme. On peut même arriver à penser que sans les œuvres de Dante et de Pétrarque, l’humanisme ne serait pas concevable. Non seulement parce qu’ils sont humanistes eux-mêmes, mais parce que Pétrarque, après Dante, mais dans une direction plus philologique, concevait le travail d’écrivain comme comprenant la recherche des textes de l’Antiquité.
(Ibid.)
Cette continuité se trouve également justifiée quand on note que « l’humanisme florentin du Quattrocento n’a jamais renié l’héritage spirituel de la Divine Comédie » (Fernand Desonay, « Renaudet (Augustin). Dante humaniste », in Revue belge de philologie et d’histoire, tome 32, fasc. 2-3, 1954, p. 562). Nous verrons dans une autre chronique quelle lecture les humanistes de la Renaissance ont pu faire de Dante.
« Onorate l’altissimo poeta ; / l’ombra sua torna, ch’era dipartita. »
« Honorez le très grand poète ; / son ombre revient, qui était partie. »
Dante, fresque du XVe siècle (source : Wikimedia)