Cette chronique raconte la vie des Classiques à la Renaissance. Des contemporains de l’humaniste Guillaume Budé (1467-1540) permettent de voir comment l’Antiquité alimente la culture, la pensée et la langue de l’époque.
Parmi les auteurs classiques que possédait et lisait attentivement Dante, on sait que figurent « Virgile, les Métamorphoses d’Ovide, Stace, Lucain, l’Ars poetica d’Horace, le De amicitia de Cicéron, l’Aristote latin » (Piero Boitani, « Dante et l’Antiquité », in Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 154e année, N. 1, 2010, p. 577-591). Nous reviendrons prochainement sur la présence d’Aristote dans l’œuvre de Dante, et aujourd’hui nous allons nous intéresser à Ovide.
Nous l’avions dit, Dante puise ses références mythologiques dans Virgile et Ovide. Il n’a pas lu les auteurs grecs et ne les connaît (comme Homère) que grâce aux latins. Grâce à Ovide, Dante renvoie ainsi à différents épisodes mythologiques et fait mention de la métamorphose de Tirésias :
Vois Tirésias, qui a changé d’apparence,
lorsque de mâle il est devenu femme,
changeant tous ses membres(Enfer, chant XX, vers 40-42)
Il est aussi question de celles de Midas (Purgatoire, chant XX), de Glaucus (Paradis, chant I), d’Ariane (Paradis, chant XIII) et de Zeus (changé en taureau pour séduire Europe, cf Paradis, chant XXVII), pour ne citer qu’elles. Cette petite liste n’est pas anodine, car Dante à son tour propose ses métamorphoses.
Il y a d’abord la métamorphose au sens de métanoia, c’est-à-dire de conversion, de transformation spirituelle. […] Il y a encore la métamorphose au sens de métapoiésis, c’est-à-dire de remaniement de citations ou de thèmes empruntés à la littérature et à la mythologie classiques. Il y a ensuite la métamorphose au sens de métaphrasis, c’est-à-dire de ré-écriture et de transposition stylistique de passages des auteurs anciens et prestigieux. Et il y a finalement la métamorphose au sens propre et traditionnel du terme : le sens ovidien du changement de la forme d’un corps.
(Giovanni Lombardo, « La métamorphose dans la Divine Comédie de Dante », in Métamorphose(s). XIIIe Entretiens de la Garennes Lemot, sous la direction de Jackie Pigeaud, Presses universitaires de Rennes, 2010.)
Le mythe de Glaucus a toute son importance dans le premier chant du Paradis.
Dante introduit quelques comparaisons dérivées justement du répertoire mythologique des métamorphoses. Au début du Paradis, il nous explique la valeur du trasumanar (du surpassement de la condition humaine pour atteindre une condition divine) par le mythe du pêcheur Glaucos, qui – comme le raconte Ovide (Met. 7.232-33, 13.904-68, 14.1-69) – mangea une herbe magique et fut changé en dieu marin.
(Ibid.)
Béatrice était toute avec ses yeux
fixée dans les routes éternelles, et moi en elle
je fixai mes regards, détachés de plus haut ;
dans sa contemplation je me fis en moi-même
pareil à Glaucus, quand il goûta l’herbe
qui le fit dans la mer parent des dieux.
Outrepasser l’humain ne se peut
signifier par des mots ; que l’exemple suffise
à ceux à qui grâce réserve l’expérience.(Paradis, chant I, v. 64-72, traduction de Jacqueline Risset)
La métamorphose mythologique sert d’image pour permettre de comprendre la béatitude céleste à laquelle accède Dante.
Nous reviendrons dans la prochaine chronique sur Ovide et la rivalité qu’entretient Dante avec ce poète.
« Onorate l’altissimo poeta ; / l’ombra sua torna, ch’era dipartita. »
« Honorez le très grand poète ; / son ombre revient, qui était partie. »
Glaucus et la nymphe Scylla. Tableau de Bartholomeus Spranger, XVIe siècle (source : Wikimedia).