Cette chronique raconte la vie des Classiques à la Renaissance. Des contemporains de l’humaniste Guillaume Budé (1467-1540) permettent de voir comment l’Antiquité alimente la culture, la pensée et la langue de l’époque.
La dernière chronique a permis de montrer le contexte italophobe qui accompagne le succès du Prince en France au XVIe siècle et aujourd’hui nous allons voir de plus près les Discours sur les moyens de bien gouverner et maintenir en bonne paix un Royaume, ou autre Principauté [...] Contre Nicolas Machiavel Florentin. (1576) d’Innocent Gentillet. Celui-ci expose clairement ses intentions dans la préface de l’ouvrage :
Mais mon but est seulement de montrer que Nicolas Machiavel Florentin, jadis secrétaire de la République (maintenant Duché) de Florence, n'a rien entendu, ou peu, en cette science Politique dont nous parlons, et qu'il a pris des Maximes toutes méchantes, et bâti sur celles-ci non une science politique mais tyrannique. Voila donc le but que je me propose, c'est de confuter* la doctrine de Machiavel, et non de traiter à fond la science Politique, combien que j’espère en toucher quelques bons points en quelques endroits, quand l'occasion se présentera. Auquel but j’ai espérance (Dieu aidant) de parvenir à si bon vent et si pleines voiles, que tous ceux qui liront mes écrits, en feront bon jugement, et connaitront que Machiavel a été du tout ignorant un cette science, et que son but n'a tendu et ne tend par ses écrits qu'à former une vraie tyrannie.
*confuter : du latin confutare, confondre, réfuter
(Préface, p. 3)
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Préface aux Discours sur les moyens de bien gouverner. Source : Gallica.
Innocent Gentillet, qui donne une biographie de l’humaniste pleine d’erreurs, reproche principalement à Machiavel de favoriser la tyrannie et l’impiété et de critiquer (calomnier, même) la France et les Français. Il tente de décrédibiliser l’auteur du Prince :
De jugement naturel ferme et solide, Machiavel aussi n'en avait point, comme se voit par les fades et ineptes raisons dont il confirme le plus souvent les propositions et Maximes qu'il met en avant : ainsi seulement avait quelque subtilité telle quelle, pour donner couleur à ses méchants et damnables enseignements. Mais quand on examine un peu de près sa subtilité, à la vérité on la découvre être une pure bêtise, voire accompagnée de lourdise*, et surtout pleine de méchanceté extrême.
*lourdise : synonyme de lourderie, faute grossière contre la bienséance
(Préface, p. 4)
Gentillet ajoute :
Et si l’on dit que je lui fais tort en remarquant les choses mauvaises qui sont contenues en ses livres, sans parler des choses bonnes qui y peuvent être mêlées, et dont il devrait rapporter honneur, je réponds et maintiens qu'en tous ses écrits il n'y a chose qui rien vaille, qui soit sienne et de son cru. Bien veux-je confesser, qu'il y a quelques bons passages tirés de Tite-Live ou de quelques autres auteurs, mais outre ce qu'ils ne sont siens, ils ne sont par lui traités pleinement ni ainsi qu'il appartiendrait : car, comme j’ai dit ci-dessus, il les a seulement mêlées parmi ses œuvres, pour s'en servir d'appât à couvrir sa poison. Et pourtant puisque ce qui est de bon en ses écrits est pris d'autres meilleurs auteurs, ou nous le pouvons apprendre mieux à propos et plus entièrement qu'en Machiavel, nous n'avons que faire de lui attribuer honneur, ni de lui savoir gré, de ce qui n'est pas du sien, et que nous tenons de meilleure boutique que de la sienne.
(Préface, p. 6-7)
Malgré ses vœux, Gentillet ne parvient à nous convaincre avec ses Discours. « Car les ayant lus, je m'assure que tout homme de sain jugement dira et jugera, que je ne parle que trop modérément des vices et bêtise qui ont été en ce maître Docteur. » (Préface, p. 4)
Les prochaines chroniques présenteront quelques fameux contemporains de Machiavel, dont pour commencer, Laurent le Magnifique et Jérôme Savonarole. « Volgere il viso alla fortuna ».