Cette chronique raconte la vie des Classiques à la Renaissance. Des contemporains de l’humaniste Guillaume Budé (1467-1540) permettent de voir comment l’Antiquité alimente la culture, la pensée et la langue de l’époque. Hommage à l’ancêtre du Gaffiot, l’imprimeur Robert Estienne est le premier invité des Amis de Guillaume Budé. Sa devise : « Noli altum sapere, sed time », c’est-à-dire « ne t’élève point par orgueil, mais crains ».
Dans la précédente chronique, nous avions vu que Jacques Lefèvre d’Étaples profitait d’un commentaire sur la Politique d’Aristote pour exposer ses idées sur l’éducation. Aujourd’hui, revenons sur les travaux que Lefèvre d’Étaples a consacrés à Aristote.
« Au cours de son voyage en Italie en 1492, étape rituelle de l’humanisme du temps, Lefèvre a rencontré l’aristotélicien Ermolao Barbaro […]. Lefèvre, à son retour, devient le “restaurateur” d’Aristote, en annotant toute son œuvre » (Guy Bedouelle, « Lefèvre d’Étaples entre Humanisme et Réforme », in actes du colloque Jacques Lefèvre d’Étaples publiés sous la direction de Jean-François Perrot, Paris, Honoré Champion, 1995, p. 227). Ayant découvert des traductions latines des textes d’Aristote, Jacques Lefèvre d’Étaples entreprend de les publier et de les commenter en les « débarrassant des gloses tant sales » –comme le dit Rabelais – qui surchargeaient les textes antiques depuis le Moyen Âge. En effet, « les Humanistes des XVe et XVIe siècles [s’emploient] à retrouver le message authentique au-delà des traditions commentatrices scolastiques pour atteindre, comme dit Lefèvre d’Etaples, “les eaux très pures de l’œuvre aristotélicienne à leur source” » (Bénédicte Sère, « Aristote et la Bible : d’une autorité à l’autre », Médiévales [En ligne], 55 | automne 2008, mis en ligne le 20 mars 2011, consulté le 30 septembre 2016.). Selon Guy Bedouelle, un spécialiste de Lefèvre d’Étaples, celui-ci n’a, « pour la première partie de sa vie, […] que commenté » les textes antiques. Il emploie même le verbe « décortiquer » (Guy Bedouelle, « Débat », in actes du colloque Jacques Lefèvre d’Étaples, op. cit., p. 236). Non seulement Lefèvre a fait ce travail d’analyse pour ses étudiants du collège du cardinal Lemoine, mais il a publié ses commentaires. « Le cycle des publications débute en 1492 […] avec les Paraphrases de Lefèvre sur la Philosophie naturelle d’Aristote, que son ami, le théologien Josse Clichtove, a revues pour l’impression. » (Jeanne Veyrin-Forrer, « Simon de Colines, imprimeur de Lefèvre d’Étaples », in actes du colloque Jacques Lefèvre d’Étaples, op. cit., p. 97) Deux ans plus tard, Jacques Lefèvre d’Étaples publie chez le même imprimeur – Johann Higman – une introduction à la Métaphysique d’Aristote. Suivent des éditions et commentaires de la Logique, de l’Éthique. Ces différents volumes seront réimprimés jusque dans les années 1520 |
Illustration 1 : Portrait de l’humaniste italien Ermolao Barbaro (1454-1493). Source : BIU Santé Paris Descartes. |
« Il ne cessait de travailler à la restauration de l’aristotélisme ; il expliquait au collège du Cardinal Lemoine le De Anima, revoyait et corrigeait, pour les presses d’Henri Estienne, la version que Lionardo Bruni avait donné de la Politique, du premier et du troisième livre de l’Économique, faussement attribués au philosophe ; il en rédigeait un commentaire dans lequel il s’appliquait, suivant sa méthode, à marquer la suite des idées et le sens exact des mots difficiles ; avant la fin de l’année il rédigeait la préface du livre, dédié à Guillaume Briçonnet, évêque de Lodève. Une fois de plus il célébrait Aristote. “On doit, disait-il, le comparer à un homme que Dieu aurait placé sur quelque haute cime, pour contempler d’un coup d’œil tout le genre humain, et les admirables lois par lesquelles la Providence le régit.” » (Auguste Renaudet, Préréforme et humanisme à Paris pendant les premières guerres d’Italie (1494- 1517), Paris, Champion, 1916, p. 484).
En 1506, Henri Estienne imprime donc les Aristotelis commentaria proposés par Lefèvre d’Étaples, recueil qui comporte également les Hécatonomies, dont nous parlerons dans la prochaine chronique. « Pour profiter à tous, de quelque condition que soient. »