Cette chronique raconte la vie des Classiques à la Renaissance. Des contemporains de l’humaniste Guillaume Budé (1467-1540) permettent de voir comment l’Antiquité alimente la culture, la pensée et la langue de l’époque.
Au chant IV de l’Enfer, Dante nous décrit une « bella scola » (v. 94), une belle école. Le poète, guidé par Virgile, se trouve dans les limbes et rencontre « quatre grandes ombres » (vers 83) :
Le bon maître a commencé à dire :
« Regarde celui qui a cette épée à la main,
qui vient avant les trois, comme un roi :
c’est Homère le poète souverain ;
l'autre qui vient est Horace le satiriste ;
Ovide est le troisième et le dernier Lucain. »(Enfer, chant IV, v. 85-90)
La belle école représentée par Tommaso De Vivo, 1863 (source : Artsupp).
Virgile est le cinquième de cette belle école et bientôt Dante apprend qu’il a l’honneur d’en faire partie. Révélant son « orgueil poétique », il se place ainsi lui-même dans la lignée des poètes classiques.
Ici Dante se lève à la même hauteur de ses grands modèles et s’en déclare le successeur le plus digne : il lui faudra rivaliser avec eux, en reprenant et en transformant les fruits de leur génie.
(Giovanni Lombardo, « La métamorphose dans la Divine Comédie de Dante », in Métamorphose(s). XIIIe Entretiens de la Garennes Lemot, sous la direction de Jackie Pigeaud, Presses universitaires de Rennes, 2010.)
La rivalité se fait particulièrement jour au chant XXV, lequel décrit « le prodige – jamais vu auparavant – d’un homme et d’un serpent qui se transmuent mutuellement et simultanément l’un en l’autre » (Ibid.). Devant ces horribles métamorphoses, Dante est effrayé et inspire la terreur et l’effroi à ses lecteurs.
Même les lecteurs habitués aux métamorphoses très impressionnantes sorties des vers de Lucain et d’Ovide restent étonnés devant les châtiments décrétés par une justice divine hors de toute prévoyance humaine. C’est pourquoi Dante peut déclarer que désormais sa narration n’a rien à envier aux deux poètes latins.
(Ibid.)
Il le déclare avec force : « Que Lucain se taise désormais » (v. 94) ; « Qu’Ovide se taise » (v. 97) ! Dante s’appuie sur les modèles antiques, puis les juge inférieurs, après s’être battu sur leur propre terrain, puisque Lucain et Ovide sont « les deux champions de la poésie de métamorphose » (Giovanni Lombardo).
Ainsi, dans un même contexte, la métamorphose se présente aussi bien au sens de la transformation d’un être vivant en un autre être vivant qu’au sens de la transformation métapoiétique et métaphrastique d’un sujet littéraire emprunté à des modèles du passé.
(Ibid.)
Selon Giovanni Lombardo, « La conviction que le métier de poète exige une rivalité incessante avec les auctores est exprimée à plusieurs reprises dans la Comédie. Au chant XII du Purgatoire, par exemple, Dante conçoit l’histoire de la créativité humaine comme un progrès par lequel […] de génération en génération, les artistes et les poètes dépassent et transforment l’héritage de leurs prédécesseurs. » (Ibid.)
« Onorate l’altissimo poeta ; / l’ombra sua torna, ch’era dipartita. »
« Honorez le très grand poète ; / son ombre revient, qui était partie. »