Cette chronique raconte la vie des Classiques à la Renaissance. Des contemporains de l’humaniste Guillaume Budé (1467-1540) permettent de voir comment l’Antiquité alimente la culture, la pensée et la langue de l’époque.
Depuis l’Antiquité, la politique intéresse les philosophes et au fil des siècles différents traités vont s’appuyer sur les œuvres d’Aristote, Cicéron ou Sénèque. Machiavel s’inscrit donc dans une tradition antique, ainsi que dans une tradition médiévale, celle du Miroir des Princes. « Le genre de ces miroirs, apparus en Occident, semble-t-il, au IXe siècle et qui plaçaient la politique sous le contrôle de la morale, connut à la fin du XVe siècle et au début du XVIe un important regain de faveur, manière d’hommage de la génération humaniste au système postféodal qui lui permettait de s’épanouir » (Jean-Yves Boriaud, Machiavel, éditions Perrin, chapitre 8). Parmi les traités les plus fameux, citons De principe (1491) de l’humaniste italien Giovanni Pontano, l’Éducation du Prince chrétien d’Érasme – ouvrage destiné au futur Charles Quint – et De l'institution du prince (1547) de Guillaume Budé.
Dans sa biographie de Machiavel, Jean-Yves Boriaud cite également « Le Prince de Bartolomeo Sacchi, à l’usage des ducs de Mantoue […], où étaient exaltées l’humanité, la courtoisie mais aussi la majesté du souverain ; ou bien encore Le Royaume et l’éducation du Roi de Francesco Patrizi (1412-1494), à l’intention de Sixte IV, où la vertu du Prince est décomposée en une série de quarante vertus morales. » (Jean-Yves Boriaud, Machiavel, éditions Perrin, chapitre 8)
Il s’agit en fait d’ouvrages de direction, destinés à tel ou tel souverain : la politique y apparaît comme une sous-partie de l’éthique, et la vertu qui y est prônée est l’héritière de celle de Cicéron, celle du début du De officiis, faite d’un compromis entre sagesse, justice, fermeté, modération, vertus auxquelles Cicéron joint les vertus princières : honnêteté (respects des engagements, des règles de l’honneur), magnanimité et libéralité ; mais elle est également tributaire du Traité de la clémence de Sénèque, où l’auteur tentait de prouver à Néron que cette clémence était au centre des qualités attendues du princeps. La virtù de Machiavel n’est plus exactement la virtus de la tradition cicéronienne : composée de mérite et d’énergie personnelle, elle est la qualité de ceux qui marquent l’histoire de leur empreinte personnelle. […]
En intitulant ainsi son « opuscule », Machiavel se plaçait délibérément dans cette tradition, même si le Prince à qui, au-delà de l’obligatoire dédicace formelle, s’adresse l’œuvre ne prend chair que dans le dernier chapitre. […] Contrairement à ce que l’on aurait pu attendre d’un miroir, Machiavel donne en effet au Prince dont il attend anxieusement la venue des conseils d’efficacité, valables selon lui dans l’urgence où il travaille et dont on a fait, pour le malheur de l’« image » de l’auteur, un faisceau de préceptes à valeur générale, fondement de ce que l’on appellera désormais le « machiavélisme ».
(Ibid.)
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Page de titre du Discours sur les moyens de bien gouverner. Source : Gallica
Machiavel se distingue de ses contemporains par les idées qu’il développe dans le Prince, ce qui ne l’empêche pas d’être lu – avant même publication – et de faire polémique. Ce débat apparaît dans les traités postérieurs, notamment celui d’Innocent Gentillet, un avocat français qui publie, en 1576, Discours sur les moyens de bien gouverner et maintenir en bonne paix un Royaume, ou autre Principauté [...] Contre Nicolas Machiavel Florentin.
Nous reviendrons sur ces différents traités et Érasme, « l’anti-Machiavel », sera l’invité de notre prochaine chronique. « Volgere il viso alla fortuna ».