Cette chronique raconte la vie des Classiques à la Renaissance. Des contemporains de l’humaniste Guillaume Budé (1467-1540) permettent de voir comment l’Antiquité alimente la culture, la pensée et la langue de l’époque. Hommage à l’ancêtre du Gaffiot, l’imprimeur Robert Estienne est le premier invité des Amis de Guillaume Budé. Sa devise : « Noli altum sapere, sed time », c’est-à-dire « ne t’élève point par orgueil, mais crains ».
Nicolas Machiavel a non seulement donné des textes essentiels à l’histoire des idées et à la littérature, mais en outre, il a, à son insu, enrichi notre vocabulaire : le nom machiavélisme et l’adjectif machiavélique sont directement dérivés de Machiavel.
Petite consultation du Trésor de la langue française, on voit que le machiavélisme c’est le « système politique développé par Machiavel dans ses écrits ». Cette première définition est sobre, mais un deuxième sens la complète : par analogie, le machiavélisme désigne une « doctrine conforme aux idées et à la pensée de Machiavel ; [un] exercice du pouvoir politique sans scrupule moral ». De là, machiavélisme signifie « ligne de conduite dictée par la ruse, la perfidie, la mauvaise foi » et désigne le « côté perfide, insidieux d'une action ». Deux locutions complètent ces définitions et insistent sur les derniers sens : « avec machiavélisme » s’emploie pour dire « avec ruse et perfidie » et « par machiavélisme », « par esprit de calcul et d'artifice ». Rien de bien positif en somme !
L’entrée machiavélisme du Trésor de la langue française. |
Si maintenant, nous cherchons machiavélique, nous trouvons : « conforme à la doctrine politique de Machiavel considérée comme dépourvue de tout sens moral, d'honnêteté et d'intégrité ». Ainsi machiavélique apparaît comme un synonyme de diabolique, rusé, perfide, retors, etc. (Voir le Trésor).
Ces sens ne sont pas nouveaux et Diderot écrit ceci dans la première édition de son Encyclopédie (1751) : « MACHIAVELISME, s. m. (Hist. de la Philos.) espèce de politique détestable qu’on peut rendre en deux mots, par l’art de tyranniser, dont Machiavel le florentin a répandu les principes dans ses ouvrages. » Plus loin, il écrit « Il y a peu d’ouvrages qui ait fait autant de bruit que le traité du Prince : c’est-là qu’il enseigne aux souverains à fouler aux pieds la religion, les règles de la justice, la sainteté des pactes et tout ce qu’il y a de sacré, lorsque l’intérêt l’exigera. »
Revenons au vocabulaire ! À partir de machiavélique a été formé l’adverbe machiavéliquement, qui signifie « de manière machiavélique ; avec ruse, perfidie, esprit d'intrigue ». Sous la plume des spécialistes de Machiavel on lit des expressions comme « œuvres machiavéliennes » (Paul Larivaille dans le Prince, p. 190). L’adjectif machiavélien est utilisé sans connotation morale ou péjorative et signifie tout simplement « de Machiavel ». On le trouve très régulièrement : « texte machiavélien » (Ibid., p. 194), « manuscrit machiavélien » (Ibid., p. 200), « terminologie machiavélienne » (Ibid., p. 207)… Paul Larivaille appelle les spécialistes de Machiavel des « machiavélistes » (Ibid., p. 183), mais fait usage des guillemets !
Dans la prochaine chronique, nous répondrons à la question « Qu’est-ce que le machiavélisme ? », au sens « Qu’est-ce que la pensée, la doctrine machiavélienne ? »
« Volgere il viso alla fortuna ».