Les Amis de Guillaume Budé – Ulysse dans la Divine Comédie

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Cette chronique raconte la vie des Classiques à la Renaissance. Des contemporains de l’humaniste Guillaume Budé (1467-1540) permettent de voir comment l’Antiquité alimente la culture, la pensée et la langue de l’époque.

Après avoir évoqué Énée (voir chronique 15), il était nécessaire de poursuivre avec la figure d’Ulysse, héros essentiel de l’Enfer de Dante. À la différence d’Énée qui est dans les limbes, Ulysse est véritablement aux Enfers, au huitième cercle, celui des Trompeurs, et précisément dans le huitième « bolge » (fosse) où chaque âme se trouve dans une flamme.

Virgile montre à Dante Ulysse et Diomède (roi d’Argos), placés avec les « conseillers perfides », en lui disant que « dans leur flamme, ils gémissent sur l’embuscade du cheval » (Enfer, XXVI, v. 58-59). Grand lecteur d’Homère, Dante voudrait parler à Ulysse, mais Virgile lui sert d’interprète. Parmi les hypothèses sur les raisons de cette médiation, l’une suggère que Dante parle italien, la langue des descendants d’Énée et donc des ennemis troyens d’Ulysse. « De plus, Virgile est le juste intermédiaire entre Homère et Dante. » (Jacqueline Risset, note 74-75, p. 339 in Dante, L’Enfer, GF, 2004)

Image : Dante et Virgile rencontrent Ulysse et Diomède. Virgile, en jaune, se fait l’interprète de Dante, qui porte un chapeau. (Miniature du XIVe siècle. Source : Wikimedia).

Dante et Virgile rencontrent Ulysse et Diomède. Virgile, en jaune, se fait l’interprète de Dante, qui porte un chapeau. (Miniature du XIVe siècle. Source : Wikimedia).

Ulysse raconte alors son voyage depuis son départ de chez Circé jusqu’à sa mort. Dante, en effet, ne suit pas la légende homérique, mais fait arriver le bateau du héros à une « montagne brune » (Enfer, XXVI, v. 133) qui est celle du « Paradis terrestre où fut placé le Purgatoire par le Christ » (Jacqueline Risset, note 133, p. 340, op. cit.). L’approche de cette haute montagne provoque un tourbillon qui aspire le bateau. À la suite de « Sénèque et Servius [qui] avaient formulé l’hypothèse d’un Ulysse se perdant dans un monde inconnu » (Ibid.), Dante propose une mort originale pour le héros. Après avoir fait taire Lucain et Ovide au chant XXV (voir chronique 14), Dante s’affranchit de l’héritage homérique.

La soif de connaissance, de découverte, a éloigné Ulysse et ses compagnons de leur famille. Même si leur courage est reconnu, comme la soif de la connaissance n’est pas placée sous le regard divin, elle mène à la perte. Pour Maria Corti (voir Scritti su Cavalcanti e Dante. La felicità mentale. Percorsi dell'invenzione e altri saggi, Torino, Einaudi, 2003), Ulysse est l’archétype du « héros errant de la connaissance », qui croit que le savoir parfait peut être atteint pendant la vie mortelle, avec les seules forces de la raison humaine, sans l'intervention de la grâce divine. Dante est également sur le chemin de la connaissance, mais guidé par la volonté divine.

Pour conclure cette chronique, rappelons que c’est le chant XXVI de l’Enfer qui revient à la mémoire, par bribes, à Primo Levi quand il est en camp de concentration (voir Si c’est un homme, chapitre 11). Il cite notamment trois vers à Pikolo, extraits du discours d’Ulysse à ses compagnons :

Considérez votre semence :
vous n'êtes pas fait pour vivre comme des brutes,
mais pour suivre la vertu et la connaissance.

(Enfer, XXVI, v. 118-120)

 

« Onorate laltissimo poeta ; / lombra sua torna, chera dipartita. »
« Honorez le très grand poète ; / son ombre revient, qui était partie. »

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