Dans sa Vie de Machiavel , Roberto Ridolfi cite un huitain de Nicolas Machiavel, véritable autoportrait :
« J’espère, mais l’espoir augmente mon tourment :
Je pleure, mais les pleurs nourrissent mon cœur las ;
Je ris, mais au dedans point ne parvient mon rire,
Je brûle, mais le feu au dehors ne paraît ;
Je crains ce que je vois comme ce que j’entends ;
Toute chose m’apporte une douleur nouvelle ;
Et donc, en espérant, je pleure et ris et brûle,
Et de ce que j’entends et regarde j’ai peur. » (cité p. 31)
Différents portraits de Machiavel illustreront les prochaines chroniques et nous complétons aujourd’hui l’autoportrait de Machiavel par le portrait que dresse de lui l’historien Gino Capponi (1792-1876) :
« D’esprit élégant et extrêmement fécond, de mœurs libres ; d’une intelligence extraordinairement pénétrante, mais sans que les faits correspondissent à sa pensée […] ; vis-à-vis de la politique il ressentait ce que ressentait l’Italie : elle visait à des fins élevées, brassait des pensées élevées ; mais ce n’étaient qu’énergies galvaudées, grandeurs corrompues, croupissant dans l’indigence de moyens et dans le désespoir, comme les aigles romaines gisant dans la fange les jours de défaite. Pas plus que de celle de l’Italie, la religion n’avait disparu de sa pensée : il la révérait pour son élévation, il l’aimait en tant qu’institution italienne ; mais ensuite, indigné de la mauvaise administration dont il la voyait souillée, il l’assaillait de ses railleries et par ses vices l’effaçait de son cœur. Tel fut Machiavel et telle fut l’Italie. » (cité par Ridolfi,p. 29)
Une troisième citation pour finir : un extrait du portrait par son biographe Roberto Ridolfi.
« Il [Machiavel] fut, en dépit de sa pauvreté, extrêmement genreux, très attaché à ses enfants, très proprement vêtu, amoureux de sa patrie et de la liberté. Il parut à ses contemporains plus corrompu que les autres, parce que, de par sa grandeur même, il ne se soucia pas de cacher ce que les autres occultaient ; au contraire, ce qu’il avait de bon, il le cachait et étalait ce qu’il avait de moins bon. Il aima, en effet, être tenu pour pire qu’il n’était, pour épater ses semblables et affecter de s’égaler aux grands. De l’un de ses sinistres préceptes, il notait amèrement que, si les hommes étaient bons, “il ne serait pas bon”. Ayant vidé jusqu’à la lie le calice des laideurs humaines, vu les bons succomber toujours face aux mauvais, et, conformément à son génie, ramené cela aussi à une règle, il aima, bien qu’il fût plutôt à ranger parmi les premiers, être tenu pour un des seconds.
[…] Il n’est pratiquement pas une page de lui […] où ne transparaisse une âme sensible et passionnée de poète […]. Mais à regarder autour de lui, la désespérance du bien et l’immanence du mal l’accablaient, son esprit se révoltait. Et alors, ou il s’épanchait en maximes amères, ou il s’épanchait dans le rire […].
[…] Il fut bien proportionné de sa personne, de taille moyenne, maigre de corps, le port droit et l’air hardi. Il eut les cheveux noirs, le teint blanc mais tirant vers l’olivâtre ; la tête petite, le visage osseux, le front haut. Ses yeux très vifs et sa bouche fine, fermée, semblaient toujours un peu ricaner. […] Seul Léonard […] aurait pu, par le dessin et les couleurs, retraduire en pensée ce fin sourire ambigu. » (p. 30-32)
Vous pourrez, amis des Classiques, avoir un portrait plus complet de Machiavel avec la biographie de Roberto Ridolfi, Vie de Machiavel, traduite par Paul Larivaille. La prochaine chronique sera une présentation du Prince.« Volgere il viso alla fortuna ».