Cette chronique est rédigée chaque semaine dans le train qui mène un « turbo-prof » de Paris, où il vit, à Clermont-Ferrand, où il est maître de conférences. De contrôleurs en grèves d’étudiants, de trains manqués aux cours à préparer, 1500 signes pour décrire les heur(t)s et malheurs d’un classique ordinaire.
Dans l’Intercités Clermont-Paris, jeudi 19 mars.
Aujourd’hui, Forum de l’Insertion Professionnelle. On m’a invité à discuter sur le thème « Voyage, exils, identité ». Les étudiants ont posé beaucoup de questions : partir, quitter l’Auvergne ? Devenir enseignant ? Quitter son milieu social ? De très belles questions, souvent inquiètes. Et puis une, terrible : « à quoi ça sert, tout ça ? ». Que répondre à cette question sur l’utilité des études de Lettres ? Que ça ne sert à rien et que c’est ça qui est luxueux ? Muet, je revois la vidéo de Mossoul (des individus pilonnant des pièces du musée), les sites archéologiques bombardés en Syrie, une flaque de sang dans le musée de Tunis. Ceux qui désirent un nouvel ordre de choses s’en prennent prioritairement aux plus anciennes cultures. Pas si fous.
Une société qui va bien prend soin de ses « anciens », de ceux qui ont vécu sur son sol avant elle, même s’ils ne sont pas des ancêtres biologiques, même si l’héritage qu’ils nous laissent (linguistique, culturel) n’est « précédé d’aucun testament », comme disait René Char. Les hommes et les femmes de l’Antiquité sont nos premiers textes, nos (presque) premières images, nos (presque) premiers rituels intelligibles. Prendre soin d’eux, venir les voir au Musée, apprendre à les lire, se souvenir, c’est aussi apprendre à devenir soi-même un humain, non ?
Tout cela, je ne le formule que maintenant. Charme de la pensée sans interlocuteur réel, qui va à 160 km/heure (bientôt 200, me suis-je laissé dire).
J-P de G.