Mètis – Prolongations : Désastre et catastrophe

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Tous les mois, Michel Casevitz (professeur émérite de philologie grecque) traite d’une étymologie susceptible de présenter un intérêt méthodologique pour saisir le véritable sens d’un mot français ou en rectifier l’étymologie généralement admise.

Dans la chronique précédente (De l’échec au fiasco), nous avons étudié les mots qui désignent un échec, dans n’importe quel domaine[1]. Aujourd’hui, nous examinerons les mots qui, dans la même sphère sémantique, évoquent en général un phénomène naturel, tels désastre, catastrophe, désolation, calamité, fléau, séisme, cataclysme, tsunami.

Un désastre anéantit les espérances et semble détruire l’avenir ; c’est un événement naturel, comme un orage, un ouragan, un séisme, un cataclysme. Le mot, attesté depuis le 16e siècle, a été emprunté au composé italien disastro « mauvais astre » (avec des- péjoratif correspondant à dis-). En élargissant au-delà de la météorologie, le domaine où sévit le désastre peut être politique (une défaite aux élections peut être ressentie comme désastreuse) ou individuel (on peut parler de désastre sentimental).

Une catastrophe peut elle aussi être d’ordre naturel ou personnel ; son étendue est vaste et profonde, aucune catastrophe n’est légère. Elle concerne la Terre, les hommes, l’externe et l’intérieur. Le mot est attesté depuis le 16e siècle, emprunté au grec καταστροφή, via le latin impérial catastropha « revers de fortune, péripétie (au théâtre), mouvement de conversion. » Le nom grec, signifiant « bouleversement, fin » est un dérivé du verbe composé κατα-στρέφω « (se) retourner, abattre, détruire, finir », le préverbe indiquant « vers le bas » ainsi que « l’achèvement » (le simple στρέφω signifie « tourner, se tourner »), cf. Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque [DELG], s.u. στρέφω. Le mot français connote l’abattement aux sens propre et figuré ainsi que l’achèvement ; et le mot implique une vaste surface ou une vaste profondeur concernée.

La désolation, c’est l’action de ravager, détruire, vider un pays, ou le résultat de cette action ; en souvenir du récit biblique, c’est le résultat de l’action des anges de la désolation : un spectacle de désolation. Conséquence : douleur extrême, lamentation. Le mot est attesté depuis le 12e siècle, emprunté au bas latin desōlatio,-ōnis « désolation, destruction, ravage » (définition du dictionnaire Gaffiot), nom d’action et du résultat d’action, dérivé du verbe, employé par Virgile et ensuite, dēsōlo,-ās,- āre, « désoler, dépeupler », lui-même dérivé de l’adjectif sōlus,-a,-um, « seul, solitaire, dépeuplé » (étymologie incertaine, cf. Ernout-Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine [DELL], s.u. solus et , préfixe indiquant une action faite et achevée)[2].

Une calamité, c’est un malheur de vaste étendue qui afflige de nombreuses victimes. Le mot, attesté depuis le 14e siècle, désigne souvent un malheur dont les causes sont naturelles et les effets répandus sur le terroir, notamment pour les récoltes. Dans le langage administratif, on parle de « calamité naturelle » qui doit faire l’objet d’une déclaration officielle par les communes après décision de l’État, ce qui doit permettre l’indemnisation des personnes lésées par les compagnies d’assurance. L’étymologie du latin classique calamitās,-atis (féminin abstrait, habituellement dérivé d’un adjectif de type nouus) « malheur perdition » n’est pas claire, nom dont le féminin clādēs,-is, « destruction, massacre » est (cf. DELL, s.u.) « le synonyme énergique » et peut-être apparenté, comme le montre le deuxième terme de l’adjectif composé négatif incolumis,-e « intact, sans dommage. »

Dans la langue moderne, le fléau est communément un synonyme de calamité. Le mot est attesté depuis le 10e siècle (d’abord au sens de peine qui s’abat sur une victime, puis comme arme du moyen-âge, en forme de fléau), et désigne précisément un instrument spécifique pour le battage des céréales, puis un instrument qui châtie (instrument de la colère divine : ce sont les fléaux du ciel), un malheur important, d’origine naturelle ou humaine, qui frappe une société, une personne, ou c’est encore une personne ou une chose très néfaste ou nuisible. Le mot provient du latin flagellum, -i, neutre, « fouet », diminutif de flagrum,-i, fouet ou martinet (avec lanières garnies de boutons de métal). Flagellum a fini par remplacer flagrum et à désigner tout ce qui ressemblait à un fouet. Mot technique flagrum n’a pas d’étymologie assurée. Le verbe dérivé flageller désigner le traitement jadis infligé aux mauvais élèves et que s’infligeaient parfois les moines eux-mêmes.

Les trois derniers mots que nous allons examiner désignent à l’origine des événements naturels catastrophiques dont le domaine n’a cessé de croître.

Un séisme est un mot savant directement emprunté au grec en 1885 (cf. TLFi, s.u.) ; il désigne précisément le tremblement de terre (alors que le verbe grec σείω [< *tweis-ō] et sa famille ont un sens général « agiter, brandir, secouer, remuer »,  depuis Homère et encore en grec moderne). En français, le sens figuré est usuel et souvent on emploie l’expression « un véritable séisme » pour relativiser la force de l’ébranlement. Dans la langue scientifique, on emploie épicentre pour le centre apparent, en surface, du séisme, à opposer à l’hypocentre, « point souterrain présumé où le séisme a pris naissance (définition duTLFi empruntée au Larousse encyclopédique)[3].

Un cataclysme, mot attesté depuis le 16e siècle, est un « bouleversement de la surface terrestre causé par un phénomène naturel », tels un séisme, une inondation (d’après le TLFi, s.u.). Le mot a été emprunté au latin tardif cataclysmus, lui-même emprunté au grec classique κατακλυσμός,-οῦ  « inondation, déferlement » (dans la Septante « déluge »), nom d’action dérivé du composé κατακλύζω « déferler sur, inonder » (le simple κλύζω signifiait « baigner, rincer, laver »). Au sens figuré le cataclysme est un profond ébranlement.

Enfin, un tsunami, mot japonais (signifiant « vague d’orage » selon le TLFi s.u.)  employé en français depuis le 20e siècle, est une grande vague qui déferle sur les côtes en conséquence d’un séisme, d’une éruption volcanique sous-marine ou d’une chute dans la mer de rochers, de glaciers ou de falaises. La mention d’un tsunami s’accompagne souvent de l’adjectif destructeur.

Les grands malheurs, les grandes catastrophes, subis par la Terre ou les humains, sont volontiers désignés comme des phénomènes météorologiques : le macrocosme sert à décrire le microcosme.

 


[1] À la liste des mots étudiés, il eût été convenable d’ajouter la défaite (dans le domaine militaire d’abord).

[2] Le verbe désoler et le participe désolé se sont développés dans un domaine beaucoup plus étendu et plus usuel que la désolation.

[3] Signalons que l’adjectif dérivé de séisme se présente soit comme séismique soit comme sismique.

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