Mètis – Sur les lauriers de la gloire

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Tous les mois, Michel Casevitz (professeur émérite de philologie grecque) traite d’une étymologie susceptible de présenter un intérêt méthodologique pour saisir le véritable sens d’un mot français ou en rectifier l’étymologie généralement admise.

Les temps sont à la préparation des « jeux » olympiques ; activité sérieuse pour ce qui n’est pas ludique, ces jeux (traduction traditionnelle du grec ἀγῶνες [agônes][1]) étant en fait des concours sportifs, compétitions, luttes.

À ces jeux olympiques, chaque vainqueur, chaque équipe victorieuse recevait une couronne (grec στέφανος,-ου [stephanos,-ou], masculin) de laurier (grec δάφνη,-ης [daphnè,-ès], féminin, latin laurus).

Quel est le rapport étymologique et sémantique entre ces trois mots ? Rappelons d’abord que le vocabulaire de la botanique, vocabulaire technique, a peu de racines indo-européennes : chaque langue est dénommée d’une façon différente dans chaque pays, chaque sol cultivé, et les noms varient d’une langue à l’autre. Donc souvent des noms différents ou, pour les « mots voyageurs », des noms apparentés mais dont la forme a été différente en fonction de leur voyage d’une langue à l’autre.

On s’accorde à penser que le grec δάφνη et le latin laurus sont les deux formes d’un nom de base méditerranéen[2], ce qui semble assuré par l’existence d’une glose d’Hésychius (λ 433 Latte) attestant une forme dialectale λάφνη (· δάφνη, Περγαῖοι[3]), par des composés ou dérivés en δαυχ- en thessalien (et cf. encore Hésychius δ 331 Latte : δαυχμόν· εὔκαυστον ξύλον δάφνης[4]) et en sachant que les flottements entre λ et δ ne sont pas rares dans les noms d’emprunts.

 En français, à partir de laurus et de ses dérivés a été formée une série de termes en rapport avec la notion de victoire à un concours : ainsi l’adjectif lauréat, attesté depuis le 15ème siècle, et le féminin lauréat, substantivés au 20ème siècle, sont calqués sur laureatus,-a,-um « décoré de laurier » dérivé de l’adjectif laureus « de laurier ». Dès la fin du 15ème siècle, l’adjectif lauré indique que le poète a obtenu la couronne de laurier et s’applique à toute personne qui a remporté un concours, victoire sanctionnée par une couronne ou une médaille (ornée ou non d’un laurier). À partir de laureatus, le latin a formé le verbe laureo,-as,-are « orner d’une couronne de lauriers, couronner » et le français laurer a suivi, tardivement (à la fin du 19ème siècle selon le Trésor de la langue française informatisé [TLF]).

Il existe encore en français un substantif féminin laure, attesté à partir de la moitié du 17ème siècle, qui dérive du grec λαύρα,-ας (ionien λαύρη,-ης), attesté depuis l’Odyssée d’Homère[5], et qui désigne originellement, me semble-t-il, un chemin étroit et couvert, chemin creux, et même parfois égout, bref une voie modeste ; le mot se rencontre à toutes les époques, en littérature ou dans les inscriptions et, au moyen âge, il a désigné la demeure où, séparés, vivaient les anachorètes ». Son étymologie n’est pas connue. En français, une laure était, aux premiers temps de l’Église « une réunion de cellules ou petites demeures habitées par des anachorètes » (TLFi, s.u.) Le mot a désigné aux 19ème et 20ème siècles un monastère des chrétiens d’Orient. Le petit Larousse illustré (PLI) a un lemme laura ou lavra (prononciation en grec moderne), nom féminin défini comme « grand monastère orthodoxe. »

Il existe une petite commune française, Saint-Laure (63350), dans le Puy-de-Dôme, à une dizaine de km de Riom, fondée au 10ème siècle autour d’un monastère ; c’est le genre de ce dernier mot qui explique le masculin du nom du village.

Il a existé une Laure, martyre qui fut canonisée : jeune catholique de Cordoue, elle fit partie des quarante-huit martyrs mis à mort en 864 pour avoir refusé de se convertir à l’Islam ; sa fête dans le calendrier catholique était récemment le 19 octobre, mais cette année à cette date je trouve la Saint René… Si Laure est rare dans le martyrologe chrétien, Laurent est plus fréquent, depuis l’archidiacre de Rome, né en Espagne vers 210, qui fut martyr en 258 : il distribua les richesses de l’Église aux pauvres au lieu de les livrer au préfet… On trouve 11 autres saints de ce nom-là. Le prénom Laurent est donc antérieur au féminin ; il dérive à l’origine, lui, de Laurens,-ntis, masculin « habitant de la ville des Latins Laurentum. »

Finalement, c’est le laurier qui l’a emporté, celui des poètes ou des généraux…

Mais il ne faudrait pas oublier qui distribue les lauriers : c’est l’empereur, le souverain ou le président, indispensables. Ici, aux Belles Lettres, il faut parler au féminin : c’est Caroline, dont le prénom est dérivé, via le latin médiéval Carolus, du germanique masculin Karl, signifiant « mâle, homme ».

Carolus a fourni en français deux séries de dérivés ; la plus courante est à initiale *ch-, avec aboutissement phonétique attendu devant a- (Charles, Charlotte, etc.), l’autre est à initiale *c- (/k/) (Carol, cf. esp. Carlos, grec Κάρολος, etc.). Le féminin Caroline a été formé sur Carolus avec le suffixe latin *inus,-a, indiquant la dépendance ou l’origine (voir le suffixe *in-,-ine dans le TLFi s.u). Dans le calendrier de l’Église, la sainte Charlotte (17 juillet) est aussi le jour de fête des Caroline. Quant aux Carolingiens, dont le plus prestigieux est Carolus magnus, imperator (Charlemagne), il peut servir de modèle de sagesse. Et le féminin Carola ou Carolina (Caroline) peut aussi servir de modèle…

Signalons qu’un modèle de voiture à plusieurs chevaux a porté le nom de caroline au 19ème siècle. Le TLFi, s.u. indique que le prénom est à l’origine de ce nom « peut-être par rapprochement de carrosse et de berline »[6].

En conclusion, Caroline est un prénom tout à fait idoine pour laisser présager une personne apte à présider-diriger comme… une impératrice.

 

[1]  Pluriel de ἀγών,-ῶνος, masculin. On note qu’Apollon était, entre autres épiclèses, daphnèphoros « porteur de laurier. »

[2] Cf. P. Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, histoire des mots [DELG], 2ème éd., Paris, 2009, s.u. δάφνη, p. 244 et suppl. CEG, p. 1284-1285 ; et A. Ernout-A.  Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine,histoire des mots, 4ème éd. avec additions et corrections de J. André, Paris, 2001, s.u. laurus.

[3] Il s’agit des habitants de Pergé, ville de Pamphylie.

[4] Dauchmon (neutre) glosé « bois de laurier bien brûlé. »

[5] Où il y a deux exemples du mot, au sens de couloir, corridor.

[6] Le nom d’une danse, carole, féminin, a existé (d’abord sous la forme charole au 12ème siècle, puis dans sa forme actuelle depuis le 13ème) jusqu’à maintenant, bien que rare ; il désigne une ronde accompagnée de chants. Le nom dérive peut-être du latin chorus, -i, masculin, lui-même emprunté au grec χορός,-οῦ, masculin, signifiant l’un et l’autre « chœur de danse, ronde ». Comme beaucoup de noms de danse, le mot français est du féminin. Le verbe dérivé caroler « danse la carole » est attesté depuis le 12ème siècle sous la forme charoler et depuis le 13ème sous la forme actuelle, rare aussi. L’origine de la première voyelle a donné lieu à diverses hypothèses peu convaincantes (voir TLFi, s.u.).

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