Tous les mois, Michel Casevitz (professeur émérite de philologie grecque) traite d’une étymologie susceptible de présenter un intérêt méthodologique pour saisir le véritable sens d’un mot français ou en rectifier l’étymologie généralement admise.
En été[1], fêtes et festivals se multiplient : comme on dit couramment, on peut sortir, il peut faire chaud, on peut prendre ses congés, bref tout est possible, l’air est à la fête…
Le mot fête, attesté depuis le début du 11e siècle, signifiant à l’origine « célébration à date fixe » provient du nom latin festa,-ae, féminin, « neutre pluriel substantif devenu féminin de l’adjectif fēstus,-a, -um « de fête » (Trésor de la langue française informatisé [TLFi], s.u.)[2].
Hors des fêtes religieuses (célébrées par toute une religion en l’honneur d’une divinité[3] - continuant la panégyrie antique -, d’un être ou d’une chose vénérés) ou des fêtes de corporation, d’association, de métier[4], il y a des fêtes locales organisées par un village, une ville, un quartier. On parle ainsi d’une fête patronale ou paroissiale, fête du saint patron de la paroisse, de la commune. Dans le Midi, au sud de la Loire, on parle de fête votive, fête du saint auquel la localité a été vouée.
Il y a aussi des fêtes qui n’ont pas de rapport nécessaire avec la religion. Ainsi les fêtes foraines, qui, à l’origine, allaient de pair avec une foire commerciale (voir TLFi s.u. forain2)[5]. Dans les fêtes foraines, il y a diverses activités qui représentent le divertissement : ainsi le stand de tir, les autos tamponneuses, le vendeur de barbe à papa, le bal, etc.
Il nous reste à mentionner trois mots particuliers dont deux désignent une fête dans différentes régions.
À Lyon, dans le Velay, les Alpes et en Provence, on parle pour une fête, d’une vogue ; le mot, attesté depuis le 15e siècle au sens de marche d’un navire, puis d’allure d’un troupeau, a désigné aussi la faveur dont jouit une personne ou une notion, la popularité (cf. en vogue). Au sens de fête patronale, le mot est attesté depuis le 16e siècle. C’est le déverbal de voguer, attesté depuis le 13e siècle, signifiant « ramer, nager, se déplacer sur l’eau ». Comment la vogue a pu désigner une fête ? il y a diverses hypothèses, dont aucune ne s’impose. Parmi elles, les processions par bateau, en particulier à Lyon, auraient pu influencer le parler local. Il me semble que l’allure cadencée d’un navire avançant à la rame a pu être assimilée à l’allure d’une danse et qu’une danse a pu désigner le bal, principale occupation de la fête patronale. Notons au demeurant que la vogue est souvent l’occasion de fêter les conscrits et les classes de naissance ; or, dans ces mêmes régions, les conscrits « font la vague » : d’un tangage à l’autre, on peut passer de la vague à la vogue…
Dans le nord de la France et dans le sud de la Belgique, la fête patronale se nomme ducasse. Le mot est connu depuis le 14e siècle ; il est « la forme populaire de dédicace » (TLFi s.u.), nom désignant la consécration d’une église ou d’un oratoire, puis la fête commémorant cette consécration (cf. Wikipedia, s.u.)[6]. La ducasse est aujourd’hui composée d’une procession le matin, suivie d’un banquet et de toutes les distractions d’une fête foraine que suit un bal dans la soirée.
La fête patronale est aussi nommée kermesse dans le nord de la France, la Belgique, la Hollande et en Suisse ; le mot, emprunté au flamand kermisse (cf. allemand Kirmes), est connu depuis la fin du 14e siècle, mais employé surtout depuis le 19e. Aujourd’hui, le mot désigne toute fête populaire, il évoque une liesse, bruyante et joyeuse, une débauche plus ou moins admise.
Signalons enfin que la langue familière a employé plusieurs mots pour désigner la fête : ainsi « faire la foire » signifie de notre temps « faire la fête », car le mot foire connote bruit, agitation, tintamarre. D’autres mots désignent aussi la fête dans cette langue : « faire la noce[7] », c’est la faire la fête comme aux noces, à la bonne franquette, et sans entraves. Si « faire la bombe » ou « faire bombance » désigne principalement la ripaille, le joyeux festin », comme « faire la bamboula[8] », « faire la nouba[9] » signifie bien faire la fête avec ou sans musique. On pourrait ajouter encore les expressions « faire la bringue[10] », « faire la java », pour exprimer diverses façons de s’amuser en faisant la fête.
Tel qu’on l’a vu, le vocabulaire des fêtes exprime à la fois des cérémonies religieuses ou commerciales, précisément définies et organisées, et des distractions populaires, pouvant prêter à divers débordements. Dans différentes classes de la population, la fête fait partie des mœurs.
[1] Le mot été provient du latin aestās, -ātis, féminin (mais en français, les noms des saisons sont masculins) ; le masculin aestus,-ūs signifie la chaleur, l’ardeur, l’agitation des éléments ou des sentiments, les passions. Le verbe dénominatif æstuo, -as, - āre, -āuī, -ātum, signifie être brûlant, ardent, bouillonner, au propre et au figuré ; æstas provient de *æstitas par simplification syllabique (« haplologie »). Aestas et aestus sont dérivés d’un thème en -es, attesté notamment par le sanskrit (édhah « bois à brûler ») et le grec (αἶθος,-ους « feu, flamme »). À la base le radical * aidh- « brûler » qui a fourni en latin aedes,-is, le lieu où l’on fait le feu, le foyer, et, par synecdoque, le temple, l’édifice » et en grec le verbe αἴθω « brûler, enflammer » (les Éthiopiens sont les êtres au visage couleur de feu). Voir Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque [DELG], 2e éd., Paris, 2009, s.u. αἴθω et Ernout-Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine [DELL], 4e éd. révisée, Paris, 2005, s. u. aedes, aestas, aestus.
[2] Le nom festa présente un e bref difficilement explicable en face du e long de l’adjectif festus. Le nom fēriae, -ārum, féminin pluriel, provient de *fesiae, formé sur le radical * fēs, fas- (le -s- intervocalique est devenu normalement -r) . Le singulier feria est tardif en latin (cf. aujourd’hui la féria, « fête taurine ») mais les langues romanes en sont tributaires : français foire, italien fiera, portugais feira. « Les anciens distinguaient fēriae « repos, jour chômé en l’honneur des dieux » (voir aujourd’hui les jours fériés) et dies festus « jour de fête » (Cf. DELL, s.u. feriae). L’adjectif forain,-ne (attesté depuis le 12e siècle) dérive du latin vulgaire foranus,-a, -um, dérivé de foris, « dehors » (Cf. TLFi, s.u. foranus1 ; voir infra, note 5) ; il a dans un second temps (depuis le 15e siècle) qualifié les marchands venant de l’extérieur, les marchands forains, et ensuite été senti comme dérivé du nom de la foire.
[3] Ainsi les fêtes mariales sont dédiées à la vierge Marie.
[4] Les fêtes des écoles ont lieu en général en fin de trimestre ou de semestre, souvent juste avant des vacances (puisqu’ensuite les élèves et leur famille sont absents).
[5] Le TLFi distingue deux forain, -e : l’un (forain1 dans le TLFi) qualifie une chose, un être qui sont à l’extérieur, à l’écart, à la porte, hors de clôture, hors d’ici, étrangers ; le mot provient du latin vulgaire foranus, dérivé de l’adverbe classique foris « dehors », dérivé du radical *dhwer- « porte » qu’on trouve dans le grec θύραζε (< * θύρας δε) « au dehors » (cf. Ernout-Meillet, DELL, s.u. fores,-ium et foris, -is). Le mot est attesté depuis le 12e siècle. L’autre sens de forain (forain2 dans le TLFi), apparu au 15e siècle, concerne ce qui est relatif aux foires, celui qui vend sur les foires : les marchands forains, venus d’ailleurs, sont ceux qui fréquentent les foires commerciales. Comme on voit, il n’y a en fait qu’un seul forain (cf. supra, note 2).
[6] Dédicace provient du latin dedicatio,-onis, féminin, dérivé du verbe dedicō,-ās, -āre, lui-même composé du préfixe * dē- et du verbe de la langue religieuse dicō,-ās,-āre « consacrer, dédier » (cf. le DELL, s.u. dix, dicis, dicō,-is,-ere ; dicō, -ās, -āre).
[7] Le mot noces, pluriel, est attesté depuis le 12e siècle, dans la langue religieuse (union spirituelle avec le Christ) et au sens de réjouissances ; au singulier, le mot est employé tôt pour l’ensemble des participants à la fête du mariage. Au 19e siècle, la noce c’est la fête, où l’on fait bombance, le festin. Le mot provient du pluriel latin nuptiae « noces », via la forme du latin vulgaire noptiae (sous l’influence du latin vulgaire nouius « nouveau marié », dérivé de l’adjectif nouus,-a,-um « nouveau » (cf. TLFi, s.u. noce).
[8] La bamboula, attesté au 17e siècle sous la forme masculine bamboulon, désignait un tambour africain, puis une danse au son du tambour (cf. TLFi, s.u.). Faire la bamboula est attesté au 20e siècle.
[9] La nouba (mot maghrébin signifiant à l’origine un corps de troupe, un concert) est une « musique jouée par les tirailleurs nord-africains » (TLFi s.u.). Le mot est attesté en français depuis la fin du 19e siècle.
[10] Le mot bringue employé en Suisse (attesté au 17e siècle en fribourgeois, cf. TLFi, s.u.) pour désigner le toast que l’on porte, la brinde (mot français signifiant d’abord, au 16e siècle « verre à boire » puis toast porté ) d’où la bombance, la débauche.