En mai, fais ce qu’il te plaît, mais commence par réviser ton latin ou ton grec : telle est la devise du professeur de lettres classiques qui a des élèves de Terminale et pour qui la préparation au baccalauréat s’achève un peu plus tôt que les autres (bien que les épreuves soient systématiquement situées le mercredi après-midi : faut quand même pas pousser mémé dans les feuilles d’acanthe).
Ainsi, après deux semaines de sprint occupées à terminer la traduction et le commentaire des derniers textes du descriptif final (je dis « derniers » pour la forme : que celui qui a réussi à finir le programme sans distribuer de polycopiés et sans modifier son descriptif initial me jette la première pierre), et après un mercredi après-midi (encore !) passé à se battre contre une photocopieuse récalcitrante pour pouvoir fournir aux élèves le corpus de documents (oui, oui, vous les aviez pourtant prévenus de ne pas perdre, raturer, « personnaliser » ni déchirer leurs photocopies à chaque cours de l’année), après tout cela donc (ouf !), vous vous apprêtez à passer deux après-midi charmants à évaluer une bonne douzaine de candidats (vous l’aurez compris, c’est à chaque fois une après-midi de 8 heures, mais sans les plaisirs que Zeus prit sur le dos d’Alcmène quand il décida lui aussi de rallonger la durée du jour), tout en gardant « une bienveillance exigeante » (dixit), selon l’oxymore consacrée par l’inspection.
À la mode des journaux estivaux dans lesquels tout un chacun aime à se plonger durant le repos bien mérité du mois d’août, voici le top 10 des répliques que chaque professeur de latin ou de grec est amené à prononcer devant les candidats au baccalauréat, de manière aussi bienveillante qu’exigeante donc :
n°X
Si j’ai bien compris, votre descriptif ne comporte qu’un seul texte, c’est bien cela ?
n°IX
Vous n’avez pas jugé utile de prendre votre dictionnaire, très bien. (ou son équivalent : vous n’avez pas n’avez pas jugé utile de prendre vos textes, très bien).
n°VIII
Allons, allons, je suis sûr(e) que vous réussirez à traduire au moins un mot.
n°VII
Vous me dites que votre professeur était nul ? Ben voyons, et puis Platon était un mauvais philosophe et Cicéron un orateur pas très doué, oui je sais. Continuez.
n°VI
Non, je ne peux pas vous dire votre note dès maintenant. Non, n’insistez pas, je ne peux pas non plus vous dire si elle est bonne ou pas. Comment j’ai trouvé votre prestation ? Vous verrez cela en temps et en heure, ne vous inquiétez pas.
n°V
Vous dites, il y a un ours derrière moi ? Vous êtes sûr ? Non, je ne crois pas. Continuez à traduire s’il vous plaît.
n°IV
Non, vous ne pouvez pas changer d’examinateur, je suis désolée. Oui, je sais que mon collègue dans l’autre salle a l’air plus compréhensif.
n°III
Ne pleurez pas s’il vous plaît, vous faites des taches sur mon dictionnaire (d’ailleurs, n’oubliez pas de me le rendre en partant, ainsi que les textes que je vous ai prêtés).
n°II
(après deux minutes d’épreuve) Ca y est, vous avez terminé ?
n°I
(après trente sept minutes d’épreuve) Ca y est, vous avez terminé ?
Qu’on se rassure : malgré tous les efforts faits ces dernières années (et ils sont nombreux, à commencer par l’échelle de notes, entre 12 et 20) pour transformer l’épreuve orale de latin ou de grec en mascarade, le spectacle de tous ces candidats lisant et commentant des textes antiques vaut d’être vécu car c’est toujours avec émotion qu’ils arrivent jusqu’à ce dénouement heureux après plusieurs années passées à être initié aux mystères, exigeants mais bienveillants, des langues anciennes : acta est fabula.