Pauline Lejeune enseigne le latin et le grec dans un lycée de la banlieue parisienne. C'est son choix. Partagez le quotidien d'un cours pas tout à fait comme les autres.
Le psittacisme n’est pas une maladie de peau : c’est le syndrome le plus fréquemment répandu parmi le corps professoral et plus encore parmi ceux de langues anciennes. Il consiste à répéter invariablement les mêmes choses, toujours et toujours, encore et encore jusqu’à épuisement total du système nerveux. J’ai ainsi connu certains collègues capables de se mettre à sangloter fébrilement juste après avoir entendu la question : « vous pouvez répéter s’il vous plaît ? ».
Et il faut bien admettre que la prétention des élèves à obtenir 20 de moyenne est inversement proportionnelle à leur capacité de mémorisation. On peut bien sûr entrer dans le débat houleux de l’évolution des capacités cognitives que d’aucuns résument simplement par « le niveau des élèves baisse constamment, on ne peut plus rien leur apprendre ». Mais sans tomber dans un excès de pessimisme, tout professeur qui a déjà essayé de traîner ses élèves sur la pente ardue d’une déclinaison (pour les non-initiés, rappelons que cela fait entre 10 et 12 formes en tout) voit désormais dans le châtiment de Sisyphe une simple partie de bowling. Pour que nos apprenants cessent de dégringoler invariablement heure de cours après heure de cours, plusieurs stratégies sont toutefois possibles et non excluantes :
- la torture psychologique qui consiste à leur faire répéter vingt fois par cours à raison de trois cours par semaine les mêmes formes ; si vous utilisez pour cela la fameuse chanson de Brel, vous aurez vite l’impression de devenir un tortionnaire de Guantanamo faisant écouter Britney Spears en boucle à ses prisonniers.
- la torture tout court : l’humiliation par le zéro sur vingt infligé au tableau en prenant un plaisir sadique à faire répéter les formes fausses et à les faire corriger par le premier de la classe. Cette stratégie que chacun a nécessairement tenté un jour ou l’autre d’appliquer, surtout à l’encontre des fumistes, comporte des risques collatéraux non négligeables en terme d’effectif.
- enfin, la stratégie de loin la plus fiable : le recours aux bons vieux moyens mnémotechniques que Cicéron déjà enseignait dans ses manuels de rhétorique dans la rubrique memoria. Mais là, il ne faut pas craindre le ridicule lorsque vous demanderez à vos élèves sans sourciller « l’imparfait du fabriquant de chaussures » (eram, eras, erat, …), ou bien « le futur qui en a une » (amabo, amabis, amabit, …) ou encore « la déclinaison de la bonne » (pόlij, pόliν, ...).
Certes cette dernière méthode pédagogique tend à faire ressembler le cours de langues anciennes à une scène d’Un mot pour un autre de Tardieu ou à un dialogue d’un film de Godard et nous déconseillons un usage trop intensif, surtout le jour de l’inspection ; elle a toutefois le mérite, en créant une connivence, une sorte de fourchelang des latinistes, d’éviter au professeur de finir dans un asile en répétant inlassablement : « bis repetita placent ».