Les classiques sont bien vivants entre les murs de la vieille Sorbonne, où latinistes et hellénistes continuent d’inscrire les temps anciens au sein du monde moderne !
Avec l’été resurgissent les piles de livres que l’on s’était promis de lire dès que de longues plages de temps libre se dégageraient. En théorie épargné par les préoccupations universitaires, le mois d’août constituait le moment privilégié pour plonger dans l’univers passionnant des deux jeunes napolitaines qu’Elena Ferrante choisit comme héroïnes de ses magnifiques volumes : L’amie prodigieuse et Le nouveau nom. Pourtant, même fortement dépaysée par l’évocation de la vie misérable des petits artisans napolitains, comment ne pas se sentir, encore et toujours, marquée par son identité d’enseignante en langues anciennes lorsque l’on découvre, page après page, que ce qui va permettre à l’une des deux jeunes files de sortir de cet enfer caniculaire, de la misère, des insultes et des coups, c’est son étude patiente et obstinée des classiques, encouragée par une enseignante passionnée ? C’est même très précisément le chant IV de L’Énéide qui permet à Lenuccia d’accéder au collège, au lycée, puis à l’École Normale de Pise… je ne dévoilerai pas la fin ! Pourtant, cette lecture à bien des égards réconfortante laisse un petit goût amer dès lors que l’on se demande si aujourd’hui, en France après une accumulation de réformes et en attendant l’application de la dernière en date, cette petite fille aurait encore une chance de sortir de son enfer, de devenir, romancière, professeur de lettres… Comment imaginer en effet que des études trans- ou pluridisciplinaires, proposées dès les premières années de collège, avant même que l’enseignement des disciplines n’ait été véritablement entamé, vont former les jeunes esprits, leur donner le goût de la lecture, de l’étude attentive et patiente de textes complexes, de matériaux qui ne se livrent pas immédiatement ? Qui sortira des innombrables enfers modernes que mutatis mutandis notre société fabrique avec une inhumanité peut-être plus violente encore que celle des arrière-cours napolitaines ?
A. R.