Chaque jour, nous vous offrons un texte retraçant le contexte, les préparatifs puis la bataille de Salamine.
Le rusé Thémistocle, le fameux stratège athénien qui fit de sa cité la plus grande force navale de la mer Egée, celui qui éleva sa patrie au premier rang et qui sera pourchassé comme un traître et finira ses jours chez l’ennemi, voit avec stupeur la majorité de ses concitoyens refuser d’abandonner la ville.
Cependant Xerxès était descendu à travers la Doride et, ayant pénétré en Phocide, se mit à incendier les villes des Phocidiens, sans que les Grecs viennent à leur secours. Les Athéniens les pressaient en vain d’aller à sa rencontre en Béotie, pour couvrir l’Attique, comme euxmêmes avaient envoyé leurs laisseaux à l’Artémision pour les défendre. Personne ne les écouta; tous s’accrochaient au Péloponnèse et voulaient ramasser toutes leurs forces en deçà de l’Isthme, puis le barrer par un mur allant d’une mer à l’autre. Alors les Athéniens furent à la fois saisis de rage devant cette trahison et de découragement et de douleur devant leur isolement. Ils ne songeaient pas à combattre tant de myriades d’ennemis. Le seul parti qui leur restait à prendre pour le moment, c’était d’abandonner leur ville et de s’attacher à leurs vaisseaux. Mais la plupart d’entre eux ne voulaient pas en entendre parler. Peu leur importait la victoire, et le salut n’avait pas de sens pour eux, s’ils devaient livrer à l’ennemi les temples des dieux et les tombeaux sacrés de leurs pères.
Plutarque, Thémistocle, 9, 3-5
Lorsqu’ils furent de retour et firent leur rapport à l’Assemblée du peuple, beaucoup d’opinions furent exprimées pour expliquer l’oracle; et celles-ci surtout s’opposèrent : quelques vieillards disaient qu’à leur avis le dieu précisait que l’Acropole échapperait au désastre; car autrefois l’acropole d’Athènes était fortifiée d’une palissade; ils supposaient donc que c’était là « la muraille de bois » ; les autres au contraire disaient que c’étaient les vaisseaux que le dieu voulait désigner; ils engageaient à les équiper en négligeant tout le reste. Or, ceux qui soutenaient que les vaisseaux étaient « la muraille de bois » étaient mis dans l’embarras par les deux derniers vers qu’avait prononcés la Pythie : « Ô divine Salamine, tu perdras, toi, les enfants des femmes, que ce soit à quelque moment où le don de Déméter est répandu ou bien est recueilli. » L’opinion de ceux qui identifiaient vaisseaux et « mur de bois » était fortement contestée en raison de ces deux vers, parce que les chresmologues prenaient ces mots en ce sens que, si les Grecs se disposaient à un combat naval, ils devaient être vaincus dans les eaux de Salamine. Or, il y avait à Athènes un homme nouvellement parvenu au rang des premiers citoyens ; il avait nom Thémistocle, Thémistocle, fils de Néoclès. Cet homme contesta que l’interprétation des chresmologues fût de tout point exacte; si vraiment, observait-il, la prophétie était adressée aux Athéniens, le dieu, à son avis, n’y aurait pas fait usage, comme il le faisait, d’un mot plein de douceur; « infortunée Salamine », aurait-il dit, et non « divine Salamine », si les habitants avaient dû périr dans les eaux de cette île; mais, pour quiconque interprétait bien l’oracle, c’étaient les ennemis que le dieu avait en vue, et non les Athéniens.
Thémistocle conseillait de se préparer pour un combat naval, comprenant en ce sens ce qu’était « la muraille de bois ». Les Athéniens, quand il leur exposa cet avis, le jugèrent préférable pour eux à celui des chresmologues, qui ne voulaient pas qu’on songeât à un combat naval, ni même, pour tout dire d’un mot, qu’on fît aucune résistance, mais conseillaient qu’on abandonnât l’Attique pour s’établir dans un autre pays.
Hérodote, Histoires, 7, 142-143