Albums – Alix et le Minotaure

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Des chroniques sur les bandes dessinées en lien avec l'Antiquité sous la plume de Julie Gallego, agrégée de grammaire et maîtresse de conférences de latin à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour.

Image : Couverture d'Alix Senator 12
Image : Couverture d'Alix 40
Image : Couverture d'Alix Senator 13

L’Œil du Minotaure © Jacques Martin / Valérie Mangin / Chrys Millien
Alix Senator © Jacques Martin / Valérie Mangin / Thierry Démarez

Alix Senator t. 12 – Le Disque d’Osiris de Valérie Mangin (scénario), Thierry Démarez (dessins) et Jean-Jacques Chagnaud (couleurs), Casterman, septembre 2021 ; édition normale 14,50 €, édition de luxe (avec cahier historique « Alix sur le Nil ») 18,95€.
Alix t. 40 – L’Œil du Minotaure de Valérie Mangin (scénario) et Chrys Millien (dessins et couleurs), Casterman, novembre 2021 ; édition normale 12,50 €.
Alix Senator t. 13 – L’Antre du Minotaure de Valérie Mangin (scénario), Thierry Démarez (dessins) et Jean-Jacques Chagnaud (couleurs), Casterman, avril 2022 ; édition normale 14,50 €, édition de luxe (avec cahier historique « Les îles du Minotaure : l’Atlantide méditerranéenne ») 18,95€.
D’après des personnages créés par Jacques Martin.

 

Cela fait cette année dix ans que le duo Valérie Mangin et Thierry Démarez fait vivre au héros de Jacques Martin des aventures palpitantes, qui se suivent de tome en tome mais peuvent être regroupées pour certaines selon des cycles. Alix, vieilli d’une bonne trentaine d’années depuis ses débuts auprès de César, côtoie toujours l’élite de Rome. Il est resté proche d’Auguste après son accession au pouvoir, par amitié pour celui qu’il a connu enfant, sous le nom d’Octave, et qu’il a vu dans Le Tombeau étrusque être désigné par Jupiter comme le futur maître de Rome (du moins apparemment… mais lisez le « cycle des rapaces » !).

Avant de nous intéresser à ce qui fait le cœur du Disque d’Osiris, de L’Œil du Minotaure et de L’Antre du Minotaure, quelques explications s’imposent, pour vous permettre de mieux comprendre pourquoi notre chronique porte sur ces trois albums en même temps. Si Valérie Mangin construit le scénario de ses Alix Senator en cohérence avec un univers d’Alix préexistant, créé et développé par Jacques Martin de 1948 jusqu’à son décès en 2010, il lui faut aussi tenir compte, depuis le début, d’un univers qui évolue parallèlement au sien, celui dans lequel s’inscrit le Alix des successeurs de Martin, qui continuent à animer la série originelle. Suffisamment installée désormais dans la série dérivée qu’elle a créée avec Thierry Démarez, Valérie Mangin innove en prenant en charge certains scénarios de la série-mère Alix, avec un nouveau dessinateur au trait parfaitement martinien, Chrys Millien, en alternance avec d’autres « équipes » gérées par le comité Martin et les éditions Casterman, comme Mathieu Bréda (scénario) et Marc Jailloux (dessins) ou David B. (scénario) et Giorgio Albertini (dessins). C’est le cas dans le 40e tome d’Alix paru en novembre 2021, dont la sortie a été intercalée entre celles des tomes 12 et 13 de sa propre série dérivée[1]. Et c’est là que réside l’originalité des dernières parutions : ces deux tomes d’Alix Senator que sont Le Disque d’Osiris et L’Antre du Minotaure, sortis avec sept mois d’écart, dans lesquels on retrouve notre Alix quinquagénaire et qui se déroulent en 9 av. J.-C.[2] se suivent étroitement, au point qu’il est impossible de lire les tomes séparément si l’on veut comprendre l’histoire. Le tome 13, L’Antre du Minotaure, forme quant à lui le second volet d’un diptyque commencé avec L’Œil du Minotaure de la série Alix, paru cinq mois plus tôt, qui se déroule lorsqu’Alix a une vingtaine d’années, avec un César toujours en vie. De fait, les Ides de mars constituent pour la série Alix une barrière temporelle de référence, qui est bien sûr franchie dans Alix Senator et présentée comme un événement acté, alors que l’assassinat du dictateur n’est présenté que sous la forme d’une projection de l’esprit d’un Brutus encore proche de César dans L’Œil du Minotaure.

Image : Alix Gallego 1

Alix t. 40 – L’Œil du Minotaure de Valérie Mangin et Chrys Millien, Casterman 2021 (p. 33).
D’après la série créée par Jacques Martin.
L’Œil du Minotaure © Jacques Martin / Valérie Mangin / Chrys Millien

Il y a donc, pourrait-on dire, un cross-over entre la série-mère et son spin-off, ce qui est fréquent dans les séries TV américaines par exemple, mais avec un degré de complexité supérieur dans cet Œil/Antre du Minotaure. On y trouve en effet deux temporalités principales qui s’entremêlent, non seulement dans chacun des deux albums pris séparément mais même à l’intérieur du second volet du diptyque, puisqu’il comporte des reprises d’événements majeurs du premier volet (par réinterprétation ou approfondissement), en jouant simplement dans Alix Senator sur les teintes sépia pour signaler les flash-back, selon un code chromatique posé dès le premier cycle. En outre, s’ajoutent, selon un principe posé par Jacques Martin dès les premiers Alix, divers récits imbriqués assurés ponctuellement par des personnages, qui peuvent correspondre soit à un passé réellement vécu par les personnages (doublé parfois d’un clin d’œil à une case tirée d’une ancienne aventure d’Alix dessinée par Martin), soit à un futur uchronique posé comme pure hypothèse, soit à des rêves ou des cauchemars de certains personnages (projection narrative qui a toujours eu une importante majeure chez Jacques Martin et que Valérie Mangin reprend dans certains scénarios[3]). Mais il ne s’agit pas d’une prouesse technique de la scénariste, qui associerait artificiellement les divers éléments du récit : cela permet de créer un ensemble cohérent, aussi bien au niveau de l’album et du diptyque, que de chacune des deux séries et donc au niveau de l’unité supérieure qu’est « l’univers d’Alix ». L’enjeu était de taille mais les différentes pièces du puzzle s’assemblent et la fusion est réussie entre les deux univers parallèles d’Alix et Alix Senator.
Dans quel ordre lire les trois tomes pour apprécier au mieux la subtilité du diptyque et ne laisser passer aucun écho narratif ? Je dirais qu’il faut d’abord les lire dans l’ordre de parution puis relire éventuellement les deux tomes d’Alix Senator à la suite (en lisant alors le dossier final historique rédigé par Valérie Mangin pour chaque édition de luxe) puis revenir au diptyque consacré au Minotaure. Car finalement, parcourir un labyrinthe temporel pour une histoire de Minotaure, quoi de plus naturel ?

En lisant L’Œil du Minotaure et L’Antre du Minotaure, vous en apprendrez plus sur la piraterie en Méditerranée et plus particulièrement sur la Crète comme principal foyer de piraterie avec la « Cilicie Trachée » (une région située face à Chypre) :

En Méditerranée comme ailleurs, la piraterie était née avec les premiers navires et l’insécurité qu’elle provoquait concernait aussi bien les mers que les franges côtières, fréquemment soumises à des pillages ou des razzias ; partout les côtes et les ports durent très tôt s’en protéger en érigeant des tours de guet placées sur des hauteurs. Les Minoens déjà, les Grecs ensuite et surtout les Rhodiens avaient entrepris de la combattre et n’avaient en général obtenu que des succès relatifs et de courte durée. […]
Le droit en effet ne régnait pas sur mer. En l’absence de toute législation internationale, la piraterie prenait, suivant les temps, les circonstances et les lieux, des formes extrêmement diverses ; elle était tantôt individuelle et mercantile, tantôt guerrière ou politique, et l’on ne pouvait guère distinguer ce qui relevait de la délinquance collective, de la violence légitime, du pur brigandage ou de l’action militaire. Elle était en quelque sorte endémique et d’autant plus insaisissable que les État eux-mêmes la pratiquaient sous forme de course, de prises d’otages ou d’opération de représailles.

Alain Malissard, Les Romains et la Mer, Les Belles Lettres, coll. « Realia », 2012, p. 32-33.

L’Œil du Minotaure (p. 13-14 et p. 18) évoque la fin officielle de la piraterie après l’intervention de Pompée, tandis que L’Antre du Minotaure fait allusion à la capture du jeune Jules César par des pirates et au célèbre châtiment qu’il leur fit subir lorsqu’il revint se venger[4]. L’épisode est narré notamment par Plutarque (Vie de César, 1-2) et Suétone (César, 4)[5].

Image : Alix Gallego 2
Image : Alix Gallego 3

Alix t. 40 – L’Œil du Minotaure de Valérie Mangin et Chrys Millien, Casterman 2021 (p. 13 et 14).
D’après la série créée par Jacques Martin.
L’Œil du Minotaure © Jacques Martin / Valérie Mangin / Chrys Millien

Image : Alix Gallego 4

Alix Senator t. 13 – L’Antre du Minotaure de Valérie Mangin et Thierry Démarez, Casterman 2022 (p. 14).
D’après des personnages créés par Jacques Martin.
Alix Senator © Jacques Martin / Valérie Mangin / Thierry Démarez

Dès 238, Rome décida d’agir contre les pirates Ligures qui mettaient à mal le trafic maritime vers la Gaule et fut sans doute aidée pour cela par les Phocéens du comptoir grec de la future Marseille[6]. Mais, comme l’explique Alain Malissard[7], ce n’est pas la piraterie en elle-même qui était condamnée car le trafic des êtres humains était souvent très rentable pour des acheteurs qui n’étaient pas très regardants sur la provenance de la « marchandise », dans une société dont le modèle économique reposait en grande partie sur l’esclavage. La victoire de Marius contre les Cimbres et les Teutons aux alentours de 100 av. J.-C. change la donne puisque Rome obtient bon nombre de nouveaux esclaves, sentis comme plus « légitimes » (car gagnés par la gloire des armes et non par le fruit d’une capture fortuite) « et Rome put d’un coup devenir son propre fournisseur ; elle rentrait en même temps dans une conformité philosophique et morale. […] D’utile à l’économie, la piraterie se fit alors gênante et Rome devint hostile à des pratiques qu’elle avait ignorées tant qu’elles ne venaient pas contrarier [s]es intérêts […] » (p. 39). Rome va donc agir pour reprendre le pouvoir sur la mer, une décision qui s’impose d’autant plus que le roi du Pont et ennemi de Rome, Mithridate VI Eupator, soutenait les pirates, espérant profiter de la déstabilisation engendrée. Ainsi, « en 74 av. J.-C., le Sénat confie à L. Licinius Lucullus un imperium proconsulaire majeur pour lutter contre les pirates de Crète et d’Asie Mineure. Un même imperium de trois ans cette fois sur toute la Méditerranée fut confié à Pompée en 67 av. J.-C. (lex Gabinia) ; celui-ci réussit à éliminer le danger. À partir d’Agrippa et d’Auguste, la création d’une flotte romaine permit une surveillance plus efficace des mers[8]. » Mais la scénariste ne se prive pas pour autant de la possibilité narrative de faire jouer un rôle important à des naufrageurs au début de L’Antre du Minotaure.

Si le diptyque de L’Œil/L’Antre du Minotaure indique clairement que la figure mythique du Minotaure est centrale dans ces récits, les trois titres masquent toutefois à dessein l’autre mythe important tissé dans ces trois aventures : celui de l’Atlantide. Un jalon était pourtant posé pour les lecteurs dès la onzième aventure d’Alix Senator : si le sénateur Alix voulait guérir son ami Enak, gravement malade depuis la mort de son fils Kephren, il devait « retrouver l’Atlantide » (L’Esclave de Khorsabad, p. 23). Et il lui fallait commencer par retourner en Égypte, terre où se déroulaient le deuxième et le sixième tomes[9] d’Alix Senator, là même où, dans la série-mère Alix, il avait rencontré Enak (Le Sphinx d’or), lorsque tous deux n’étaient alors que des adolescents. Après avoir quitté l’Égypte du Disque d’Osiris et découvert un mystérieux disque d’orichalque indiquant la position des astres[10], c’est vers la Crète que se dirigent Alix, Enak et leurs nouveaux amis, Tefnout, Jiaan et le savant Kachta, car Osiris y est peut-être passé, d’après les indices délivrés par le disque mystérieux. Ils y retrouvent Deucalion, rencontré trente ans plus tôt, dans L’Œil du Minotaure, ce jeune Crétois dont la famille était originaire de la cité de Théra. Le récit de l’explosion de l’île de Santorin est assuré en une planche par Brutus et Alix dans L’Œil du Minotaure (p. 35) et repris dans L’Antre du Minotaure mais avec un changement de point de vue puisque c’est Kachta qui raconte l’histoire à Jiaan. En effet, les cases 2, 3 et 5 du Alix ne sont pas directement intégrées au Alix Senator : certains décors et certains fuyards sont exactement les mêmes mais ils sont intégrés à droite en usant du code graphique propre à la série dérivée, tandis que d’autres sont très légèrement modifiés en changeant de narrateur intradiégétique puisque la manière de dire et de visualiser le mythe est mouvante.

Alix t. 40 – L’Œil du Minotaure de Valérie Mangin et Chrys Millien, Casterman 2021 (p. 35).
D’après la série créée par Jacques Martin.
L’Œil du Minotaure © Jacques Martin / Valérie Mangin / Chrys Millien

Alix Senator t. 13 – L’Antre du Minotaure de Valérie Mangin et Thierry Démarez, Casterman 2022 (p. 29).
D’après des personnages créés par Jacques Martin.
Alix Senator © Jacques Martin / Valérie Mangin / Thierry Démarez

L’album du Disque d’Osiris comporte un cahier historique, rédigé par Valérie Mangin elle-même, dont la dernière page (p. 56) porte sur l’Atlantide[11] et la scénariste y indique les sources du mythe chez Platon (le Timée et le Critias), fait ensuite un court résumé de l’histoire d’Atlas et de ses frères, les Atlantes[12], jusqu’à la destruction de l’île par Zeus et évoque pour finir le développement du mythe et ses interprétations ultérieures :

Cette histoire a donné lieu à de multiples interprétations à partir de la Renaissance. Beaucoup ont cru que Platon décrivait une île bien réelle. Ils l’ont cherchée un peu partout, des Açores à l’Antarctique, du Pérou au Tibet. Certains ont même élaboré des théories faisant de l’Atlantide un des berceaux de l’humanité. Les nazis l’ont ainsi reliée à l’origine de la race aryenne. Aujourd’hui, les historiens s’accordent à dire qu’elle n’a jamais existé. Platon l’a simplement inventée pour mettre en opposition une civilisation corrompue avec l’Athènes idéale qu’il rêvait[13].
L’Atlantide a aussi inspiré de nombreuses fictions. Elle n’est pas nommément présente dans la série Alix, mais dans L’Île maudite, Jacques Martin décrit une île atlantique qui y fait fortement penser. Peuplée d’Égyptiens, elle dispose d’une technologie avancée et finit détruite dans un cataclysme. Surtout, dans plusieurs autres albums, apparaît un métal mythique : l’orichalque, dont Platon parle comme de l’une des principales richesses de l’Atlantide[14]. Je n’ai pas pu résister à faire de lui le fil d’Ariane qui mènera Alix devenu sénateur jusqu’au mystérieux royaume dont est originaire Osiris.

Image : Alix Gallego 7

Alix Senator t. 12 – Le Disque d’Osiris de Valérie Mangin et Thierry Démarez, Casterman 2021 (p. 7).
D’après des personnages créés par Jacques Martin.
Alix Senator © Jacques Martin / Valérie Mangin / Thierry Démarez

Image : Alix Gallego 8

Alix Senator t. 13 – L’Antre du Minotaure de Valérie Mangin et Thierry Démarez, Casterman 2022 (p. 37).
D’après des personnages créés par Jacques Martin.
Alix Senator © Jacques Martin / Valérie Mangin / Thierry Démarez

Voici le passage du Critias de Platon auquel fait référence la troisième case ci-dessus :

[117c] Là, on avait aménagé de nombreux temples dédiés à de nombreuses divinités, beaucoup de jardins et beaucoup de gymnases, les uns pour les hommes, les autres pour les chevaux, ces derniers étant construits à part dans chacune des deux îles formées par les enceintes circulaires (ἐπὶ τοὺς ἔξω κύκλους). [117d] […] Quand on avait traversé les trois ports extérieurs, on trouvait un mur circulaire commençant à la mer (ἀπὸ τῆς θαλάττης ᾔειν ἐν κύκλῳ τεῖχος) [117e] et partout distant de cinquante stades de la plus grande enceinte et de son port. Ce mur venait fermer au même point l’entrée du canal du côté de la mer. […]
Je viens de vous donner un rapport assez fidèle de ce que l’on m’a dit jadis de la ville et du vieux palais[15].

En lisant L’Œil du Minotaure (p. 26), vous verrez que le jeune Crétois Deucalion s’élance sans crainte au milieu d’un troupeau de taureaux en furie qui gardent le labyrinthe en ruines, qu’il prend facilement appui comme sur un cheval d’arçons sur la tête du premier animal et qu’il s’envole plusieurs mètres plus loin, à la stupéfaction d’Alix et d’Enak qui le poursuivaient pour lui reprendre la « perle de feu ». Dans L’Antre du Minotaure, les deux héros pénètrent à nouveau dans le labyrinthe qui apparaît cette fois dans toute sa majesté : Deucalion est devenu, en quelques dizaines d’années, un riche marchand d’esclaves et il a réhabilité le lieu pour s’en faire un palais digne d’un descendant du roi Minos, sombrant petit à petit dans une folie meurtrière en se prenant lui-même pour la réincarnation du Minotaure. Et, tandis que l’on suit Alix et ses amis qui courent pour essayer de sauver les pirates de la vengeance de Deucalion, les lecteurs attentifs peuvent retrouver, au détour d’une case, un clin d’œil à la fresque qui a inspiré à la scénariste les premiers sauts du Crétois[16].

Image : Alix Gallego 9
Image : Alix Gallego 10

Alix t. 40 – L’Œil du Minotaure de Valérie Mangin et Chrys Millien, Casterman 2021 (p. 26).
D’après la série créée par Jacques Martin.
L’Œil du Minotaure © Jacques Martin / Valérie Mangin / Chrys Millien

Image : Alix Gallego 11
Image : Alix Gallego 12

Alix Senator t. 13 – L’Antre du Minotaure de Valérie Mangin et Thierry Démarez, Casterman 2022
(p. 41, avec gros plan d’un détail). D’après des personnages créés par Jacques Martin.
Alix Senator © Jacques Martin / Valérie Mangin / Thierry Démarez

Vous découvrez ainsi ce qu’est la « taurokathapsie » à l’époque minoenne. Il s’agit d’une « course de taureaux rituelle où l’acrobate (voltigeur) saute au-dessus du taureau en saisissant les cornes de l’animal, [qui] est représentée sur de nombreuses fresques, poteries et sculptures. Découverte dans le palais de Knossos, une célèbre fresque aux couleurs vives et datant du minoen moyen met en scène un saut de taureau réalisé par un homme entouré de deux personnages féminins[17]. »

Image : Alix Gallego 13

Fresque provenant du palais du roi Minos à Knossos, 1700-1400 avant J.-C.
(Herakleion, Musée archéologique)[18]

Le motif du taureau crétois est donc prégnant dans le diptyque autour du Minotaure, aussi bien dans les textes de Valérie Mangin que dans les dessins de Chrys Millien et Thierry Démarez : par le rappel de l’origine du mythe, par sa pseudo-réincarnation en Deucalion, par la présence de véritables taureaux dans le labyrinthe des deux albums et par l’intégration aux décors de manière discrète de cette fresque si célèbre, qui constitue un clin d’œil adressé aux lecteurs attentifs.

 

[1] Le prochain Alix, à paraître en février 2023, sera assuré par la même équipe que le t. 40.
Alix 41 – La Reine des Amazones de Valérie Mangin (scénario) et Chrys Millien (dessins et couleurs), Casterman.

[2] La date est donnée en p. 6 de l’album de L’Antre du Minotaure, après le prologue des trois planches consacrées au massacre perpétré par le « Minotaure ».

[3] Dans L’Œil du Minotaure, les personnages porteurs de la « perle de feu » montée en collier font ainsi des cauchemars ou ont des hallucinations parce qu’ils commencent à être contaminés par le matériau qui la compose et les brûle : Servilia Caepionis « fait encore et encore le même rêve terrifiant : une flamme étrange la consume lentement de l’intérieur. Et rien ne peut l’éteindre. » (p. 1 : l’illustration montre juste la maîtresse de César qui s’agite dans son sommeil mais le contenu du cauchemar n’est révélé que par le cartouche narratif) ; Brutus (p. 11) se décompose dans les flammes après avoir tenté vainement de fuir ; Deucalion (p. 34), entouré par le feu, est poignardé par le Minotaure ; Alix (p. 45-46) se voit emporté par le Minotaure au moment où l’île de Théra explose après une éruption volcanique et, bloqué dans la main du monstre comme la jeune femme blonde dans celle de King Kong, il assiste, impuissant, à la noyade d’Enak (… qui le réveillera en réalité de son cauchemar).

[4] Les cases reproduites ci-dessous permettent également de comprendre quelques-uns des différents niveaux de narration – que nous mentionnions plus haut – créés par les liens entre texte et image, par un jeu sur des « cartouches de paroles » (hormis dans la 2e case de l’extrait de la page 13, le narrateur intradiégétique prend en charge la narration du récit encadré : on n’a donc ni un cartouche narratif associé à un narrateur extradiégétique ni une bulle de parole traditionnelle avec son appendice puisque celui qui parle n’est pas mis en scène dans la case).

[5] Pour une étude plus approfondie de l’épisode de « César et les pirates » et plus largement des pirates dans la littérature gréco-latine, on pourra se reporter à la dernière partie de l’ouvrage d’Alain Malissard Les Romains et la Mer (« La mer, les dieux, les arts » et plus spécifiquement aux pages 301 à 309 du chapitre III « la mer et la littérature »), op. cit. On pourra également se reporter à Léon Herrmann (« Deux épisodes de la vie de César », Revue belge de philologie et d’histoire, tome 16, fasc. 3-4, 1937. p. 577-589) pour une analyse comparative de l’anecdote chez Suétone, Valère-Maxime, Velleius Paterculus, Plutarque, Fenestella, Aurelius Victor et Polyen (p. 577-586), le latiniste Herrmann retenant ce dernier auteur comme celui fournissant le récit le plus véridique.

L’épisode a été utilisé dans : Spirou n° 914 (« Un grand Romain : Jules César », 1955, p. 24-28), Spirou n° 1120 (« Jules César kidnappé », 1961, p. 29-32), deux scénarios d’Octave Joly pour « Les Belles Histoires de l’Oncle Paul » ; le Journal de Tintin (« Alerte aux pirates ! Un épisode méconnu de la vie de Jules César », 1967) par le scénariste Yves Duval et Hermann [=Hermann Huppen].

[6] Le scénario met en avant les réactions assez réservées des habitants de Μασσαλία dans L’Œil du Minotaure lorsque le protégé de César, Alix, et ses amis enquêtent pour retrouver le collier maléfique. On apprend en effet dans cet album (p. 8) que les habitants de Massalia avaient pris le parti de Pompée et non celui de César durant la guerre civile.

[7] Alain Malissard, Les Romains et la Mer, op.cit., p. 38-39.

[8] Jean-Luc Lamboley, Lexique d’Histoire et de civilisation romaines, Ellipses, 1995, p. 291.

[9] AS 2 – Le Dernier Pharaon, 2013 ; AS 6 – La Montagne des morts, 2017 (voir la chronique) ; AS 7 – La Puissance et l’Éternité, 2018 ; AS 11 – L’Esclave de Khorsabad, 2020.

[10] La source d’inspiration pour le disque d’Osiris en orichalque se trouve dans la machine d’Anticythère, « un calculateur astronomique de bronze », comme le dévoile la scénariste elle-même à la fin du cahier historique du tome 13 (p. 56).

[11] Le cahier historique du tome 13 est pour sa part consacré exclusivement à l’Atlantide ; Valérie Mangin écrit quelques textes courts et amplement illustrés sur « La civilisation minoenne » (De Minoa cultura), « La Crète grecque et romaine » (De Graeca et Romana Creta), « les mythes crétois » (De Cretensibus fabulis), « l’Atlantide minoenne » (De Minoa Atlantide) et « L’éruption minoenne » (De Minoa eruptione).

[12] Fils de Poséidon, « ces Atlantes bâtirent des cités idéales, mais leurs descendants devinrent impérialistes et se lancèrent à la conquête du monde. […] Heureusement, les Athéniens mirent fin à leur domination » (Le Disque d’Osiris, p. 56).

[13] Ce qui fait d’autant plus sens si l’on tient compte de la place de l’ensemble constitué par le Timée et le Critias après La République et avant Les Lois. Sur l’Atlantide, on pourra se reporter à ces deux articles du site Odysseum signés Annie Collognat : https://eduscol.education.fr/odysseum/atlantide-lile-engloutie (19/12/19) et https://eduscol.education.fr/odysseum/atlantide-le-mythe-de-la-grande-ile-engloutie (20/12/19).

[14] L’orichalque est mentionné par Platon dans le Critias (114d-114e) : « Beaucoup [de ressources] leur venaient du dehors, grâce à leur empire, mais c’est l’île elle-même qui leur fournissait la plupart des choses à l’usage de la vie, [114e] en premier lieu tous les métaux, solides ou fusibles, qu’on extrait des mines, et en particulier une espèce dont nous ne possédons plus que le nom, mais qui était alors plus qu’un nom et qu’on extrayait de la terre en maint endroit de l’île, l’orichalque, le plus précieux, après l’or, des métaux alors connus. » Voir sur Odysseum l’intégralité du passage sur l’Atlantide dans la traduction d’Émile Chambry (1938) et la note 1 (p. 6 du pdf) sur l’orichalque chez Hésiode et dans l’Hymne homérique à Aphrodite. https://eduscol.education.fr/odysseum/sites/default/files/2020-03/Platon%20Critias%20114d-121c%20%20mythe%20de%20l’Atlantide.pdf. L’orichalque est aussi mentionné en 116d et 119c.

[15] Voir la note précédente pour la référence du texte traduit et sa source. Nous intégrons les passages en grec évoquant les formes circulaires du lieu.

[16] On peut aussi supposer que les trois dauphins qui surgissent des flots aux p. 8 et 9 de L’Antre du Minotaure, alors que les héros font route vers le sanctuaire du Minotaure, sont présents à l’image pour rappeler l’autre célèbre motif minoen (comme dans cette fresque dite du « quartier de la Reine » dans le palais de Knossos).

[17] Patricia Cochet-Terrasson, « Knossos et l’architecture des palais minoens », Eduscol – Odysseum, mis en ligne le 12/12/2021

[18] Source iconographique (domaine public).

 

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