Albums – L’Histoire (possible) de Valerius Proculus

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Des chroniques sur les bandes dessinées en lien avec l'Antiquité sous la plume de Julie Gallego, agrégée de grammaire et maîtresse de conférences de latin à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour.

 

Image : Fig. 1-2. – Couverture de l’édition normale et couverture alternative pour l’édition Ulule à tirage limité ©100bulles/Sieurac/Djaoui

Fig. 1-2. – Couverture de l’édition normale et couverture alternative pour l’édition Ulule à tirage limité
©100bulles/Sieurac/Djaoui 

L’Histoire (possible) de Valerius Proculus : une enquête archéologique en bande dessinée
de David Djaoui et Laurent Sieurac
(100 Bulles, 2024)

 

Cette bande dessinée de Laurent Sieurac (qui travaille déjà régulièrement avec un archéologue pour la série Arelate) est l’adaptation de l’ouvrage documentaire de David Djaoui, paru en 2021 et réédité en 2024 à l’occasion de la sortie de l’album, Enquêtes archéologiques : l’affaire Valerius Proculus (Errance/actes Sud). L’archéologue du Musée départemental Arles antique se fait donc scénariste pour diffuser, sous une autre forme, une partie de ses recherches en retenant la même démarche : celle d’une enquête policière (comme l’indiquent les titres de l’essai et de la bande dessinée), qui doit permettre de présenter aux lecteurs les différentes pistes possibles pour comprendre qui est ce Valerius Proculus dont on trouve le nom sur plusieurs artefacts trouvés dans le port d’Arles (Fig. 3).

Image : Fig. 3. – Valerius Proculus, héros de l’histoire et nom intrigant tracé sur des poteries (p. 41) ©100bulles/Sieurac/Djaoui

Fig. 3. – Valerius Proculus, héros de l’histoire et nom intrigant tracé sur des poteries (p. 41)
©100bulles/Sieurac/Djaoui

Dans un long entretien, richement illustré, que David Djaoui avait accordé en 2022 à Julie Wojciechowski pour le site « Arrête ton char », il expliquait sa démarche :

Dans ce livre, j’ai pris le parti en effet de comparer le travail des archéologues à celui des enquêtes criminelles. Il faut bien avouer que les parallèles sont multiples. Lorsqu’une scène de crime est gelée, ou qu’un chantier archéologique est investi, une rubalise rouge et blanche délimite et interdit l’accès au public. Pour éviter de contaminer la zone de crime, les experts de la police scientifique procèdent de la même façon que les plongeurs archéologues du Rhône : armés de masques, de combinaisons et de gants, ils positionnent les objets les uns par rapport aux autres et prélèvent des indices dans des sachets numérotés pour tenter de reconstituer les faits. L’enquête archéologique fait ensuite appel non pas à des experts en criminologie mais à des carpologues (spécialistes des graines), des ichtyologues (arêtes de poisson), des palynologues (pollens), des chimistes, des épigraphistes, des latinistes etc. Mais contrairement à une enquête criminelle, où l’on peut obtenir des confessions et/ou retrouver le corps de la victime, l’archéologie ne peut compter que sur l’interprétation des preuves matérielles. En conséquence, le doute est toujours de mise et l’affaire n’est jamais définitivement classée.

Le texte introductif de la bande dessinée (p. 2) va dans le même sens, en précisant les raisons qui ont poussé les auteurs à concevoir un album où un court dossier, contenant textes, photographies et schémas, est intercalé entre chacune des trois séquences de bande dessinée :

Pour concevoir cette bande dessinée, nous avons sélectionné quelques-uns de ces objets extraits des limons du fleuve arlésien. À partir de l’étude scientifique de ce matériel, nous souhaitions restituer une histoire (possible) du négociant en vin Valerius Proculus, citoyen romain dont le nom figure sur une petite cruche trouvée dans le Rhône. Pour s’extraire de cette fiction, et revenir aux sources qui l’ont inspirée, ce carnet pédagogique a pour objectif de retracer les difficultés rencontrées par l’archéologue pour décoder et interpréter ces artefacts. À travers les méandres d'une recherche plus que jamais pluridisciplinaire, c’est le travail de l’archéologue qui est, ici, mis en valeur. Recoupement des données, réflexions personnelles, décryptage d’inscription latine, erreurs d’appréciation et autodérision s’articulent ainsi dans une enquête archéologique où se mêlent imaginaire et réalité.

 

Il s’agit en effet de revenir à chaque fois sur plusieurs éléments évoqués dans la séquence dessinée précédente. Ainsi, dans la première histoire (p. 3 à 9), on découvre le négociant maritime Valerius Proculus, venu chez son producteur de sauces de poisson près de Cadix (qui s’appelle bien sûr Infectus, pour que le nom soit en adéquation humoristique avec l’odeur qui émane de ses entrepôts !) pour acheter sa future cargaison (Fig. 4). 

Image : Fig. 4. – L’arrivée de Valerius Proculus dans le lieu de préparation des sauces de poisson (p. 3) ©100bulles/Sieurac/Djaoui

Fig. 4. – L’arrivée de Valerius Proculus dans le lieu de préparation des sauces de poisson (p. 3)
©100bulles/Sieurac/Djaoui

C’est l’occasion pour mettre en scène, dans les propos des personnages et par le dessin, quelques explications sur la différence entre trois sauces de poisson : le garum, le liquamen et la muria. Puis un encart à la p. 15 intitulé « De la BD à la réalité » (reprenant la case 4 de la première planche) apporte plus de précisions sur la composition et la macération de ces trois sauces prisées des Romains. La case en question montrait d’abord un bassin, avec un petit panneau GARUM, où macéraient les « viscères des plus gros maquereaux, les scomber » puis un bassin pour le LIQUAMEN « produit à partir de viscères de maquereaux de taille moyenne, les lacerti » (p. 3). On voyait des esclaves tourner ces substances dégageant de forts effluves comme le suggère le dessin des nuages verdâtres qui leur sont associés. Comme Valerius Proculus a passé commande de dix amphores de garum et de liquamen, on assiste aux gestes techniques de deux esclaves (Fig. 5) : l’un tient l’amphore, qui sera le récipient pour le transport dans le navire, et une sorte d’entonnoir pourvu d’un filtre dans sa partie supérieure, tandis que l’autre verse petit à petit le contenu puisé dans le bassin concerné, à l’aide d’une sorte de casserole à très long manche. 

Image : Fig. 5. – Le filtrage des sauces de poisson (p. 3) ©100bulles/Sieurac/Djaoui

Fig. 5. – Le filtrage des sauces de poisson (p. 3)
©100bulles/Sieurac/Djaoui

Un troisième esclave est alors chargé de noter sommairement sur la poterie le contenu et le nom de l’acheteur, puisqu’il ne va récupérer l’ensemble des amphores que le lendemain. On le suit ainsi chez Publius, propriétaire des hangars de stockage : une discussion entre les deux personnages permet d’indiquer aux lecteurs que les amphores sont rangées dans des recoins différents de l’horreum (le terme technique étant donné) selon les années de maturation, d’une à quatre ; et le lecteur attentif peut alors faire le lien entre cette donnée et les quatre plaques A, AA, AAA, AAAA, avec l’initiale du mot annus, sur les quatre clés de voûte (Fig. 6). Les trois planches suivantes vont détailler cette question de l’écriture du contenu de l’amphore, qui sera au cœur de l’enquête archéologique de David Djaoui. 

Image : Fig. 6. – Rangement des amphores selon le nombre d’années de maturation (p. 4) ©100bulles/Sieurac/Djaoui

Fig. 6. – Rangement des amphores selon le nombre d’années de maturation (p. 4)
©100bulles/Sieurac/Djaoui

Le scénario de la BD va s’appuyer sur le résultat de ce travail scientifique : on lit dans deux bulles successives de Publius que les amphores contiennent « des salaisons de jeunes thons (cordula) et des maquereaux juvéniles (lacertus catulus) » et qu’il a « préparé ces conserves avec le meilleur sel de la région et en y ajoutant, pour le thon, des aromates qui lui confèrent un goût épicé dit “arguta” » (p. 5). Convaincu par le goût de cette recette spéciale, Valerius demande que ce soit précisé sur l’étiquette. Publius indique alors à un esclave que, pour que toutes les informations rentrent sur l’étiquette, il faudra écrire en abrégé. Ainsi, pour le premier produit : « Sur la première ligne, tu écris COD, ARG et VET : COD pour cordula (le thon), ARG pour arguta (épicé) et VET pour vetus (vieilli) et dessous, tu mets EXC pour excellent. » (p. 5, Fig. 7). Et, pour le second achat : « tu mets LAC pour maquereaux et tu précises qu’il s’agit de juvéniles en ajoutant CAT de “catulus”… et après tu peux indiquer la même chose ! T’as bien compris ? LAC, CAT et VET en abrégé ! » (p. 6). 

Image : Fig. 7. – Le résultat de « l’enquête » comme élément narratif avec le sens des abréviations sur l’amphore (p. 5) ©100bulles/Sieurac/Djaoui

Fig. 7. – Le résultat de « l’enquête » comme élément narratif avec le sens des abréviations sur l’amphore (p. 5)
©100bulles/Sieurac/Djaoui

On voit donc en p. 7 une amphore, manipulée par un client de Valerius, sur laquelle est écrit LACCATVET (première étiquette) EXC (deuxième étiquette), AAAA (troisième étiquette) puis CCXXVII (quatrième étiquette). Ces échanges donnent une partie de la solution à ce qui est resté longtemps un problème pour les archéologues et le dossier élucidera le reste. En effet, les trois cases successives du dernier bandeau de la p. 8 (Fig. 8) offrent une vision en accéléré de la dégradation des différentes lettres de l’étiquette entre 88 apr. J.‑C. et 1000 apr. J.‑C. jusqu’à son état en 2011, conduisant l’archéologue occupant toute la p. 9 (David Jaoui lui-même, se lançant dans l’enquête) à s’interroger sur le sens de ce « LACCATV » qu’il croit lire. Ainsi, le scénario de la BD est écrit a posteriori d’après l’évolution reconstituée LACCATVET > LACCATV ; mais l’enquête repose sur l’ordre inverse : LACCATV < LACCATVET. 

Image : Fig. 8. – Naissance d’un mystère archéologique (p. 8) ©100bulles/Sieurac/Djaoui

Fig. 8. – Naissance d’un mystère archéologique (p. 8)
©100bulles/Sieurac/Djaoui

C’est alors le rôle du dossier d’expliquer comment ont procédé les différents acteurs de cette « affaire » pour retrouver quel était le mot à lire et pour lui donner un sens, après avoir compris qu’il ne fallait pas chercher un mot unique (en dépit de l’hypothèse entérinée dans le Gaffiot de laccatum comme « vin teinté », mentionné p. 12 de la BD) mais une succession d’abréviations. La progression des recherches est racontée p. 13 de manière très limpide puisque les différents stades de compréhension de LACCATVET sont reproduits en mêlant dessins et photographies. Le but de David Djaoui est de faire comprendre, par l’application concrète du « cas » de cette amphore, à quoi ressemble vraiment le travail d’un archéologue. Il s’efforce donc d’expliciter le cheminement de la pensée de « l’enquêteur » qu’il a été sur ce cold case, élaborant des hypothèses et cherchant des indices qui permettraient de les confirmer ou au contraire de les infirmer. Voici comment il a compris le sens du début de LACCATVET et la nécessité de décomposer ce conglomérat :

Il fallait donc rechercher un mot commençant par les lettres LAC [?] dont le sens puisse permettre de qualifier une sauce de poisson. En consultant les différents dictionnaires latins, le seul mot répondant à ce critère était lacertus, le maquereau. On pouvait donc envisager que cette amphore contenait du liquamen de maquereaux. On venait de décoder l’abréviation LAC de lacertus, le maquereau. 
Un deuxième indice est venu conforter cette hypothèse. La lecture attentive d’une nouvelle mention LACCAT, sur un col d’amphore provenant une nouvelle fois des fouilles du Rhône, présentait un détail qui allait tout changer. Le trait sommital du deuxième C de LACCAT se prolongeait de manière importante [il faut alors se reporter à la figure 4 de la colonne suivante transcrivant l’inscription d’après la photographie et matérialisant en rouge la lettre C au cœur du raisonnement]. En épigraphie, ces lettres sont qualifiées de « lettres initiales » et annoncent le début d’un nouveau mot ! Autrement dit, les mentions LAC et CATV désignaient deux mots différents. Une conclusion s’imposait dès lors à nous : le laccatum n’avait jamais existé ! Mais si l’abréviation LAC désignait bien le maquereau que pouvait signifier la mention CATV de LACCATV ? (p. 13)

L’enquête est donc relancée jusqu’à ce que l’équipe fasse le lien avec le mot catulus, présenté dans le Gaffiot comme signifiant d’abord le chiot (donc un dérivé de canis) mais pouvant s’appliquer plus largement aussi au « petit d’un animal quelconque », les exemples donnés concernant alors le porcelet, le louveteau et le lionceau. Le conglomérat d’abréviations une fois découpé devient lacertus catulus vetus donc un « maquereau juvénile vieilli » (p. 13).

 

La BD permet de comprendre aussi, pour ne prendre qu’un exemple, comment étaient vidées les amphores une fois qu’elles avaient été transportées à bon port, à savoir à Arles. Comme on le voit aux pages 7 et 8, l’acheteur commence par puiser à la main dans l’amphore le contenu le plus facilement accessible et met les morceaux de poissons dans de petites cruches à fond plat, permettant un transport aisé dans une charrette. Mais il reste une difficulté : en vider le fond. Qu’à cela ne tienne, il suffit d’avoir un instrument tranchant assez solide pour briser net son pilon (ou pied), en la maintenant fermement par une anse. Cela dégage ainsi un trou suffisant pour pouvoir récupérer ce qui était précédemment inaccessible en plongeant le bras depuis le haut. L’amphore ainsi vidée et en partie cassée devient inutilisable et elle finira, comme bien d’autres, dans le fleuve. Mais ce déchet aux yeux de l’acheteur a valeur de bien précieux pour les archéologues deux mille ans plus tard. D’autant que l’amphore peut parfois avoir été modifiée de manière délibérée avant de devenir un déchet dont il faut se débarrasser : la deuxième séquence contient un bandeau (p. 19, Fig. 9) où l’on voit comment un pêcheur se sert d’une amphore à laquelle il a ajouté des trous, un bouchon et une corde pour en faire un vivier ou une nasse et conserver ainsi dans l’eau fraîche le fruit de sa pêche ; le dossier de la p. 28 va revenir sur ce recyclage en précisant un détail que les dessins ne montraient pas : si l’on suit cette hypothèse du vivier, il y avait vraisemblablement aussi un « entonnoir d’entrée tressé en osier » qui se serait forcément dégradé avec le temps et n’aurait pas pu parvenir jusqu’à nous. 

Image : Fig. 9. – Recyclage d’une amphore usagée comme accessoire pour la pêche (p. 19) ©100bulles/Sieurac/Djaoui

Fig. 9. – Recyclage d’une amphore usagée comme accessoire pour la pêche (p. 19)
©100bulles/Sieurac/Djaoui

Dans la deuxième séquence de la bande dessinée (p. 17-21), le scénariste a imaginé comment aurait pu naître l’idée de commercialiser des conserves de poisson dans des pots de dimension réduite pour la consommation personnelle des marins. De nombreux exemplaires de ce type de pot ont été trouvés dans le Rhône, suscitant l’étonnement des chercheurs : quelle pouvait bien être leur utilisation spécifique ? (Fig. 10) L’analyse de ces poteries par un ichtyologue a permis d’en déduire les poissons précis qui étaient vendus et transportés dans ces récipients particuliers, ainsi que la raison pour laquelle ils étaient tous découpés d’une manière très spécifique : 

[…] l’axe de la découpe qui traverse systématiquement l’œil du poisson était un acte volontaire. Étant donné que les plus gros maquereaux sont davantage gorgés de sang, il a émis l’hypothèse que le sang était probablement récupéré, avec le fragment de la tête, dans le pot. Selon les sources textuelles, cette recette à base de petits poissons et de sang de maquereau est l’hallec, une sorte de purée de poisson. (p. 25)

Image : Fig. 10. – Des déchets mystérieux pour le chercheur du XXIe s. dont il faut retrouver l’utilisation spécifique (p. 21) ©100bulles/Sieurac/Djaoui

Fig. 10. – Des déchets mystérieux pour le chercheur du XXIe s. dont il faut retrouver l’utilisation spécifique (p. 21)
©100bulles/Sieurac/Djaoui

Après lecture de ces informations du dossier, on fait alors aisément le lien avec les cases 7 et 8 de la p. 19 de la séquence dessinée (Fig. 11), où Laurent Sieurac avait pris soin de dessiner le pêcheur, ami d’un ancien employé de Valerius Proculus, en train de s’appliquer à découper le poisson en passant par l’œil.

Image : Fig. 11. – Intégration au scénario d’un détail technique sur la découpe du poisson (p. 19) ©100bulles/Sieurac/Djaoui

Fig. 11. – Intégration au scénario d’un détail technique sur la découpe du poisson (p. 19)
©100bulles/Sieurac/Djaoui

Le dernier artefact utilisé dans le scénario de la bande dessinée sur lequel nous nous attarderons est un bol à libation : pour se concilier les dieux lors de la première traversée évoquée p. 35, Valerius Proculus, devenu négociant en uinum albinum, prend bien soin de faire une libation à Bacchus et il arrive à bon port avec une marchandise parfaitement conservée. Les auteurs ont intégré ce détail scénaristique sur cinq cases aux pages 34-35 (Fig. 12) et l’image de Valerius lançant dans les flots le bol sert d’illustration pour la couverture en Fig. 1.

Image : Fig. 12. – Une libation à Bacchus qui protège le navire (p. 35) ©100bulles/Sieurac/Djaoui

Fig. 12. – Une libation à Bacchus qui protège le navire (p. 35)
©100bulles/Sieurac/Djaoui

Mais très contrarié en apprenant que son ancien employé, Opportunitus, a fait fortune avec ses conserves pour marins, il refuse de faire une nouvelle libation au dieu du vin et va même jusqu’à briser le bol sur le plancher du bateau (Fig. 13). 

Image : Fig. 13. – Une libation avortée qui va contrarier Bacchus et porter malheur à la cargaison (p. 37) ©100bulles/Sieurac/Djaoui

Fig. 13. – Une libation avortée qui va contrarier Bacchus et porter malheur à la cargaison (p. 37)
©100bulles/Sieurac/Djaoui

Mais, vengeance de Bacchus, la nouvelle cargaison de vin tournera à l’aigre durant la traversée, sera impossible à vendre et Valerius Proculus sera ruiné. À la p. 35, on a pu voir Valerius graver B-A-C-C-H-O (et non Bacchus). L’encart « De la BD à la réalité » (p. 47) apporte une explication à la finale « o » qui peut décontenancer le lecteur non-latiniste : le nom propre est en fait décliné au datif et un autre cadre intégré prend soin d’expliquer aussi aux lecteurs ce qu’est le datif (« En latin, le datif correspond au complément d’objet indirect. Ce cas indique en faveur de qui un acte est accompli. Pour décliner le nom du dieu Bacchus au datif, il faut mettre un “o” final. Bacchus devient alors Bacco, ce qui signifie “en faveur de Bacchus”. »). Une même réflexion implicite sur le génitif de relation pour exprimer la possession apparaissait dans la première séquence dessinée, lorsque le vendeur des amphores précisait à son esclave de bien « mettre un I à la fin de Valerius pour indiquer que les amphores sont payées » (p. 5). Comme le raisonnement n'est quand même pas forcément évident, un petit encadré, proche de celui sur le datif, est ajouté dans le dossier : « En latin, le génitif correspond au complément de nom. Ce cas marque la possession. Pour décliner le nom du négociant Valerius Proculus au génitif, il faut placer un “i” à la fin. Valerius Proculus devient alors Valeri Proculi. Lorsque Publius demande au scribe de mettre un “i” à Valerius, il souhaite donc préciser que l’amphore lui appartient. » (p. 16). Et voilà comment Valerius Proculus a pu entrer dans l’Histoire et l’histoire.

 

Lire cette bande dessinée tout public permet donc de manière concrète et claire de mieux comprendre ce que peut être le travail d’un archéologue. On voit comment il faut définir plusieurs hypothèses face à un objet intrigant, comment il faut parfois s’appuyer sur des collègues d’autres disciplines aussi pour pouvoir progresser dans son « enquête » scientifique… et comment il faut parfois aussi accepter de ne pas avoir les réponses, en se contentant alors de poser au moins la question. Et c’est ce que font finalement les auteurs sur l’une des deux couvertures (Fig. 2) en faisant le choix d’y intégrer un énorme tonneau, dont l’invention reste un mystère auquel est toutefois consacrée une demi-page du dossier de la troisième séquence dessinée (p. 46).

 

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