Extrait de L'Affaire Agathonisi, notre polar de l'été, à retrouver en lecture intégrale ICI.
Celui qui a voulu et construit la maison maudite, Kostas le Grec
Kostas avait gagné un peu d’argent grâce à une épicerie, devenue grosse supérette, que gérait sa femme avec autorité. Quant à lui, il préférait exploiter un bateau de promenade, selon son humeur. Le matin, depuis juin jusqu’à septembre – mais seulement s’il l’avait décidé – il dépliait sur le port un grand panneau, avec des cartes surchargées de grosses lignes rouges, pour indiquer l’itinéraire, avec par endroits des photos d’eaux cristallines, de coraux, de plages de rêve et de femmes en bikini. Sa réputation aidant, il attirait sans peine une trentaine de touristes et les embarquait pour toute la journée sur son élégant bateau rouge et jaune, couvert de fanions multicolores qui battaient au vent. Pendant les trajets, il vendait des sodas, des sandwiches. Mais en fin de matinée, il servait gratuitement un petit Ouzo avec un grand verre d’eau glacée. Quand les touristes remontaient sur le pont après un bain, il attendait qu’ils soient bien secs, bien calmes, et que leur regard se porte vers l’horizon étincelant. Il leur présentait alors, gratis aussi, un grand plat rempli de cubes de melon ou de pastèque. Les touristes étaient ravis et les promenades, en général, étaient fort joyeuses.
Kostas avait bien l’allure d’un marin : petit, râblé, énergique. Ses yeux gris acier pénétraient sans gêne le regard de ses interlocuteurs, sa barbe noire tachée de poils gris lui dévorait les joues. Il entrait parfois dans des colères homériques, contre ses deux matelots quand ils étaient trop mous ou maladroits, mais surtout contre sa femme, qui le bravait en déversant sur lui des tombereaux de paroles. Malgré ces éruptions, c’était un brave homme, courageux et communicatif quand il vous aimait bien.
Il n’était pas cupide, mais il tenait à réduire son épouse au silence, dans la mesure du possible. Question d’honneur. Les visiteurs occasionnels ou réguliers s’adressaient souvent à lui pour connaître les ressources du tourisme local. À force de répondre aux mêmes questions, il avait acquis la certitude qu’il louerait sans difficulté une maison de vacances pourvu qu’elle fût isolée, à deux pas de la mer, confortable et surtout belle. Cela creuserait l’écart par rapport à l’offre dominante en Grèce, de ces maisons inachevées, hérissées de piliers et de tiges rouillées, environnées de fils électriques et de vieilles bétonnières.