Un nouvel extrait de L'Affaire Agathonisi, notre polar de l'été, à retrouver en lecture intégrale ICI.
Nigel raconte. Georges collabore
« C’est à ce moment que le jeune homme voit dans son appareil la femme sortir par la porte-fenêtre de l’appartement. Elle est grande et mince, elle porte une longue robe de couleur bleue, d’une nuance électrique qui évoque irrésistiblement le plumage de l’oiseau envolé, elle marche vite, mais avec le port d’une princesse. Laurent écarte l’appareil photo de ses yeux... puis s’en sert à nouveau, mu par une attraction irrésistible. La femme bouge comme une princesse, mais une princesse d’opéra qui va mourir. Elle trébuche, se rattrape à la balustrade. Laurent essaie de voir mieux son visage. Le zoom est décidément de grande qualité. La femme paraît ivre, elle pleure. Puis elle fixe le vide de ses grands yeux bleus... »
– Verts, coupe Georges...
– Comment cela, verts ?
rétorque Nigel sur un ton offusqué. Puis il comprend et
rentre dans le jeu.
– OK, pas de souci.
Nigel corrige immédiatement sur son ordinateur, et reprend :
« Puis elle fixe le vide de ses grands yeux verts, avec une détermination mauvaise... Laurent comprend immédiatement qu’elle projette de se précipiter dans la rue du haut de la terrasse... Dans deux minutes, cinq ou dix, c’est sûr, elle le fera. Ce n’est pas du chantage, elle est seule. Sa décision est prise.
Laurent n’est pas un homme d’action, mais c’est un homme intelligent et, s’il le faut, déterminé et méthodique. Il connaît l’immeuble d’en face, mais ne l’a jamais vraiment regardé. Il tâche d’enregistrer tous les éléments qui permettront d’identifier, depuis le rez-de-chaussée, la terrasse où se joue le drame qu’il veut éviter. Puis il sort de chez lui, très vite, tout en se forçant à respecter les rituels habituels : il prend une veste légère, ses papiers, son téléphone portable, ses clefs. Il s’agit de ne pas avoir à regretter un excès de précipitation.
C’est en face, de l’autre côté de la rue, que les problèmes commencent. Laurent n’a aucun moyen d’entrer. À gauche de la porte vitrée, il y a une sonnette, qu’il actionne, mais la concierge de l’immeuble paraît absente. En tout cas elle ne répond pas. Au-dessous de la sonnette, un digicode, qui ne lui sert à rien. Une très vieille femme apparaît à une fenêtre du rez-de-chaussée à côté de l’entrée. Le jeune homme lui fait des signes. Terrorisée, elle écarquille les yeux et s’enfonce dans l’obscurité. Par chance, un homme approche à grands pas, escalade les quelques marches depuis la rue. Il sort une clef, regarde Laurent avec un peu de méfiance, mais ne s’oppose pas quand ce dernier entre après lui. En fait la concierge est là... Elle regardait la télé et faisait la morte pour ne pas avoir à se déplacer. Quand il frappe à sa porte vitrée, elle ouvre enfin. C’est une toute petite femme rondelette, très brune, très maquillée, aux jambes en forme de poteaux, vêtue d’une blouse bleu clair déboutonnée sur une robe beige.
Il décrit ce qu’il a vu. Elle l’écoute avec une expression de plus en plus inquiète, puis se fige et reste paralysée, la bouche ouverte...
– C’est une question de vie ou de mort... insiste Laurent qui lui prend les deux mains et les secoue.
La concierge sort enfin de sa paralysie. Il l’interroge :
– La grande terrasse avec la statue, c’est monsieur et madame... »
– Qui, Georges ? demande Nigel...
Georges sursaute... puis retrouve ses esprits...
– Mes deux personnages à moi ne sont pas mariés... et je ne leur ai pas encore donné de nom de famille à l’un et à l’autre. Tout ce que je peux dire, c’est que la jeune femme s’est choisi un nom plus sortable que son vrai nom, je vous expliquerai après. Par conséquent, il lui faut un beau nom d’emprunt... Laissez-moi réfléchir... Que diriez-vous de... Fontaine ?
Nigel fait une petite moue, hésite, puis tapote sur son clavier, et continue son récit :
– La grande terrasse avec la statue, c’est madame Fontaine et son ami... répond la concierge. C’est au cinquième. J’ai les clefs... non... Je ne les vois pas sur mon râtelier.