À un moment où l’information fuse de toutes parts, il nous a paru intéressant de l’ancrer dans des textes très anciens, afin que l’actualité et l’histoire se miroitent et s’éclairent dans un regard tantôt ou tout ensemble stimulant et amusé, songeur ou inquiet.
Après Chaplin et les pitreries de De Funès, l’immense acteur Jean-Paul Belmondo vient de tirer sa révérence. Sa personne, sa carrière et sa filmographie n’étaient qu’action, mouvement, brio. Cet acteur virevoltant est à lui seul anti-morosité, avec son sourire contagieux, sa bonne humeur légendaire. L’occasion pour nous de lui rendre hommage à travers la danse ancienne.
Dies ecce muneri destinatus aderat. Ad conseptum caueae prosequente populo pompatico fauore deducor. Ac dum ludicris scaenicorum choreis primitiae spectaculi dedicantur, tantisper ante portam constitutus pabulum laetissimi graminis, quod in ipso germinabat aditu, libens adfectabam, subinde curiosos oculos patente porta spectaculi prospectu gratissimo reflciens. Nam puelli puellaeque uirenti florentes aetatula, forma conspicui, ueste nitidi, incessu gestuosi, Graecanicam saltaturi pyrricam dispositis ordinationibus decoros ambitus inerrabant nunc in orbem rotatum flexuosi, nunc in obliquam seriem conexi et in quadratum patorem cuneati et in cateruae discidium separati. At ubi discursus reciproci multinodas ambages tubae terminalis cantus explicuit, aulaeo subducto et complicitis siparis scaena disponitur.
Le jour fixé pour le spectacle arriva enfin. Je fus conduit jusqu’à l’enceinte des gradins, suivi en grand cortège par un peuple enthousiaste, et pendant toute la durée du prologue, consacré à des danses exécutées par un corps de ballet professionnel, en station devant la porte, je tendais voluptueusement le cou vers la fort réjouissante pelouse qui poussait juste au seuil, tout en offrant de temps à autre à mes yeux curieux le réconfort de la charmante perspective sur la représentation que me procurait la porte restée ouverte. De tendres garçonnets et des fillettes en fleur, à peine adolescents, admirablement beaux, élégamment vêtus, s’avançaient, mimant un assaut, avant d’exécuter les figures imposées de la pyrrhique grecque, d’abord tournoyant sans but, puis formant le cercle en ronde gracieuse, puis nouant la chaîne d’une sinueuse farandole, puis, rangés en coins, dessinant un carré, puis, divisés par groupes, s’éparpillant en quadrilles. Après que la trompette, sonnant le signal de la dislocation, eut mis fin au tourbillon accéléré des échanges croisés de partenaires, on releva le rideau, on replia les tentures, et la scène apparut.
Apulée, Métamorphoses, X, XXIX,
texte établi par D. S. Robertson et traduit par O. Sers,
Paris, Les Belles Lettres, 2010
Cet art pourtant éphémère a laissé des traces abondantes sur les vases grecs, les peintures crétoises et étrusques (notamment pour célébrer les morts) ainsi que les sculptures, pour lesquelles la représentation du mouvement était un défi. La danse, chez les Grecs, était considérée comme d’origine divine. Plus que distraction, véritable langage, la danse pouvait être à la fois religieuse, guerrière et profane. Elle s’exécutait au son de la flûte et pouvait s’intégrer au sein de représentations théâtrales (l’orchestre était initialement l’emplacement d’évolution des danseurs). La pyrrhique imitait les luttes guerrières ; l’hyporchème d’origine crétoise mais exécutée aussi à Délos, à Sparte et dans les tragédies, consacré au culte d’Apollon, voyait un chœur se diviser en deux groupes, l’un chantant en esquissant une ronde, et l’autre illustrant le chant par une danse expressive ; la geranos imitait le vol des grues ou la marche de Thésée dans le labyrinthe crétois, par une chaîne ondulant de danseurs ; l’oclasma était une danse exécutée par les femmes lors des Thesmophories consacrées à Déméter ; des danses dionysiaques plus frénétiques mettaient en scène des satyres et des ménades ; si l’emmélie, d’un pas lent et solennel, était une danse exécutée par un chœur tragique, le cordax, plus lascif, animait la comédie ancienne, et la skinnis était propre au drame satyrique.
Dans les mariages, enterrements (le fameux chant funèbre du thrène s’accompagnait d’une mimique) et les banquets se montraient danseurs et danseuses. Que l’on pense à Sophocle exultant qui, à Salamine, devant les Grecs vainqueurs, dansa nu, le corps oint et la chevelure couronnée, au son de la lyre ! « Le magnifique » qui chérissait le monde méditerranéen n’aurait pas été le dernier à faire un petit pas de danse. Il en était fort aise.
Eh bien dansez maintenant !
Christelle Laizé et Philippe Guisard