À un moment où l’information fuse de toutes parts, il nous a paru intéressant de l’ancrer dans des textes très anciens, afin que l’actualité et l’histoire se miroitent et s’éclairent dans un regard tantôt ou tout ensemble stimulant et amusé, songeur ou inquiet.
Depuis le 1er janvier 2022, c’est au tour de la France de prendre la présidence de l’Union européenne. Cet événement a été l’occasion (au risque de polémiques) de parer les principaux monuments de Paris du bleu européen : ainsi de Notre-Dame et de l’Opéra-Garnier (voir les photos ci-dessous). C’est une couleur qui nous est bien connue puisque notre propre drapeau offre majoritairement au regard la partie bleue, lorsqu’il est immobile. L’europhile Valéry Giscard d’Estaing avait même modifié la teinte de ce bleu afin de l’accorder avec le bleu européen. Et ce bleu cobalt est redevenu marine par la volonté d’Emmanuel Macron pour revenir à un bleu plus originel.
Contrairement aux Égyptiens qui ont su produire dans l’art par le lapis-lazuli et l’azurite des splendides tons de bleu, couleur réputée bénéfique, au Proche et Moyen-Orient, les Grecs ont, contrairement à l’image d’Épinal, moins valorisé cette couleur. Cette rareté relative des tons bleus provient d’une absence conceptuelle et lexicale nette. Les termes grecs pour désigner le bleu sont glaukos et kuaneos : le premier exprimant tantôt le vert, le gris, le bleu, le jaune et le brun, le second qualifiant toute couleur sombre (bleu foncé, violet, noir et brun). Cette même difficulté à nommer le bleu se retrouve en latin classique où il existe quantité de termes, mais tous polysémiques et chromatiquement imprécis. C’est que le bleu est une couleur dont il faut se méfier. Dans son Histoire naturelle, Pline réduit la palette des couleurs aux seuls blanc, jaune, rouge et noir. Le bleu est la couleur des barbares et des étrangers (les Germains). Avoir les yeux bleus est signe de mauvaise vie pour une femme, et pour les hommes une marque de ridicule. Les textes grecs et latins (Xénophane, Anaximène, Aristote, Épicure, Lucrèce, Sénèque et Ammien Marcellin) qui spéculent sur les couleurs de l’arc-en-ciel ne mentionnent jamais le bleu, couleur primaire à nos yeux. Au fil d’une longue histoire prise entre physique, chimie, économie, politique, religion, la symbolique du bleu a été nettement revalorisée depuis l’Antiquité au point de devenir, au XXe s., la couleur préférée de plus de la moitié de la population. Il est vraisemblable que le bleu doive son unanimité au fait qu’il était certainement d’une symbolique moins marquée que les autres couleurs. Il ne heurte pas. Les grands organismes internationaux ont misé, à juste titre, sur cette couleur emblématique : l’ancienne SDN, l’actuelle ONU, l’UNESCO, le Conseil de l’Europe. Cette couleur internationale promeut la paix et l’entente.
De quoi songer d’ores et déjà à la grande bleue ou au grand bleu !
Christelle Laizé et Philippe Guisard