À un moment où l’information fuse de toutes parts, il nous a paru intéressant de l’ancrer dans des textes très anciens, afin que l’actualité et l’histoire se miroitent et s’éclairent dans un regard tantôt ou tout ensemble stimulant et amusé, songeur ou inquiet.
Pâques est la plus grande fête chrétienne, fixée le dimanche qui suit la pleine lune, après l’équinoxe de printemps, comme en a décidé le concile de Nicée en 325 de notre ère. Si Pâques célèbre la mort et la Résurrection du Christ, au fondement de la foi chrétienne, sa traduction banale et commerciale prend la forme d’un œuf. Le symbole de l’œuf, associé au retour du printemps, relève d’une coutume païenne, que le christianisme a reprise et baptisée : il se retrouve en Mésopotamie, dans les civilisations précolombiennes, en Chine, mais aussi dans la cosmogonie orphique, dont le comique Aristophane livre une parodie dans sa pièce de 414 avant notre ère, Les Oiseaux.
Χάος ἦν καὶ Νὺξ Ἔρεβός τε μέλαν πρῶτον καὶ Τάρταρος εὐρύς·
γῆ δ´ οὐδ´ ἀὴρ οὐδ´ οὐρανὸς ἦν· Ἐρέβους δ´ ἐν ἀπείροσι κόλποις
τίκτει πρώτιστον ὑπηνέμιον Νὺξ ἡ μελανόπτερος ᾠόν,
ἐξ οὗ περιτελλομέναις ὥραις ἔβλαστεν Ἔρως ὁ ποθεινός,
στίλβων νῶτον πτερύγοιν χρυσαῖν, εἰκὼς ἀνεμώκεσι δίναις.
Οὗτος δὲ Χάει πτερόεντι μιγεὶς νύχιος κατὰ Τάρταρον εὐρὺν
ἐνεόττευσεν γένος ἡμέτερον, καὶ πρῶτον ἀνήγαγεν εἰς φῶς.
Πρότερον δ´ οὐκ ἦν γένος ἀθανάτων, πρὶν Ἔρως ξυνέμειξεν ἅπαντα·
ξυμμειγνυμένων δ´ ἑτέρων ἑτέροις γένετ´ οὐρανὸς ὠκεανός τε
καὶ γῆ πάντων τε θεῶν μακάρων γένος ἄφθιτον.
Au commencement était le Vide et la Nuit et le noir Érèbe et le vaste Tartare, mais ni la terre, ni l’air, ni le ciel n’existaient. Dans le sein infini de l’Érèbe tout d’abord la Nuit aux ailes noires produit un œuf sans germe, d’où, dans le cours des saisons, naquit Éros semblable aux rapides tourbillons du Vent. C’est lui, qui, s’étant uni la nuit au au Vide ailé dans le vaste Tartare, fit éclore notre race et la fit paraître la première au jour. Jusqu’alors n’existait point la race des immortels, avant qu’Éros eût uni tous les éléments : à mesure qu’ils se mêlaient les uns les autres, naquit le Ciel et l’Océan et la Terre et toute la race impérissable des dieux bienheureux.
Aristophane, Les Oiseaux, v 693-702,
texte établi par V. Coulon et traduit par H. Van Daele,
Paris, Les Belles Lettres, 1928
Le turbulent Aristophane aurait trouvé dans l’image de l’œuf cosmique un point d’appui cocasse pour servir son dessein subversif de démontrer la supériorité des volatiles sur les Olympiens. Reprenant le tableau, profondément noir et rebelle à toute représentation, des commencements hésiodiques avec la série Chaos-Nux-Érèbe-Tartare, Aristophane situe, avec fantaisie et culture, au commencement, la production d’un œuf non fécondé. L’œuf serait resté tel quel si le retour des saisons n’avait pas déchiré sa coque pour faire éclore Éros, un des noms de Phanès, puissance lumineuse jaillissante chère aux traditions orphiques. Le processus cosmogonique avec l’œuf devient donc représentable et enclenche le temps (nécessairement circulaire). L’éclosion de l’œuf recommence le monde.
Les œufs de Pâques, dans la culture chrétienne, sont un retour, puisqu’ils reviennent sur les tables après le jeûne du Carême. La tradition des œufs décorés est très vivace en Autriche, en Europe orientale, Ukraine, Hongrie. En France, un artiste apporta d’ailleurs à François Ier tout le Mystère de la Passion sculpté sur un œuf, enfermé dans une coquille d’œuf, chef-d’œuvre de miniaturisation. Le plus bel œuf de l’histoire de France fut un cadeau de Louis XV à la comtesse du Barry : un œuf énorme de poule confié à un joaillier de la cour qui le recouvrit d’or et de pierres précieuses au point que le Chevalier de Boufflers avait déclaré : « si on le mange à la coque, je veux simplement la coquille ! » On n’oubliera pas de mentionner Karl Fabergé qui imagina pour le Tsar Alexandre III un œuf de joaillerie à offrir, à Pâques, à l’Impératrice Marie Fedorovna (il en aurait produit une centaine, d’une valeur inestimable).
Mais le chocolat, ne suffit-il pas à rendre les œufs appétissants aux petits et grands palais ?
Christelle Laizé et Philippe Guisard