Chroniques anachroniques – Cold case

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À un moment où l’information fuse de toutes parts, il nous a paru intéressant de l’ancrer dans des textes très anciens, afin que l’actualité et l’histoire se miroitent et s’éclairent dans un regard tantôt ou tout ensemble stimulant et amusé, songeur ou inquiet.

La destruction de la voûte de Notre-Dame a permis de faire resurgir des vestiges archéologiques intéressant l’histoire de l’architecture, de la vie de la cathédrale et aussi de la littérature. En effet, les dernières analyses sur un ancien cercueil plombé ont révélé l’identité du défunt : le célèbre poète angevin Joachim du Bellay.

Vivons, Gordes, vivons, vivons, et pour le bruit
Des vieillards ne laissons à faire bonne chère :
Vivons, puisque la vie est si courte et si chère,
Et que même les rois n’en ont que l’usufruit.

Le jour s’éteint au soir, et au matin reluit,
Et les saisons refont leur course coutumière :
Mais quand l’homme a perdu cette douce lumière,
La mort lui fait dormir une éternelle nuit.

Donc imiterons-nous le vivre d’une bête ?
Non, mais devers le ciel levant toujours la tête,
Goûterons quelquefois la douceur du plaisir.

Celui vraiment est fol, qui changeant l’assurance
Du bien qui est présent en douteuse espérance,
Veut toujours contredire à son propre désir

Du Bellay, les Regrets, 53

Vivamus, mea Lesbia, atque amemus,
Rumoresque senum seueriorum
Omnes unius aestimemus assis.
Soles occidere et redire possunt ;
Nobis cum semel occidit breuis lux,
Nox est perpetua una dormienda.
Da mi basia mille, deinde centum,
Dein mille altera, dein secunda centum,
Deinde usque altera mille, deinde centum.
Dein, cum milia multa fecerimus,
Conturbabimus illa, ne sciamus,
Aut ne quis malus inuidere possit,
Cum tantum sciat esse basiorum.

Vivons, ma Lesbia, aimons-nous et que tous les murmures des vieillards moroses aient pour nous la valeur d’un as. Les feux du soleil peuvent mourir et renaître ; nous, quand une fois est morte la brève lumière de notre vie, il nous faut dormir une seule et même nuit éternelle. Donne-moi mille baisers, puis cent, puis mille autres, puis une seconde fois cent, puis encore mille autres, puis cent. Et puis, après en avoir additionné beaucoup de milliers, nous embrouillerons le compte si bien que nous le sachions plus et qu’un envieux ne puisse nous porter malheur, en apprenant qu’il s’est donné tant de baisers.

Catulle, Poésies, 5,
texte et traduit par G. Lafaye,
Paris, Les Belles Lettres, 1998

Début 2022, avant la pose de l’échafaudage qui permettrait la reconstruction de la flèche, 8 sépultures furent découvertes et analysées. Rien d’étonnant ! Puisque c’était une vieille tradition pour les notables et le clergé de se faire enterrer sous la nef d’une église. Sur les 8, 2 enfermaient des cercueils plombés. Le nom du premier figurait sur une plaque : il s’agissait du chanoine de Notre-Dame pendant 50 années, Antoine de la Porte, mort en 1710. Ce riche mécène avait financé la clôture du chœur. Le second était plus ancien et plus mystérieux : d’une part, on savait qu’il était mort jeune, qu’il souffrait d’une tuberculose osseuse et d’une méningite chronique, qu’il pratiquait intensément l’équitation (son squelette était déformé) et qu’il avait particulièrement souffert à la fin de sa vie. Les chercheurs l’avaient surnommé « le Cavalier ». D’autre part, on savait que Joachim du Bellay avait été inhumé quelque part sous Notre-Dame. Or, il était le neveu de Jean du Bellay, évêque de Paris puis cardinal, doyen du sacré collège à Rome (c’était le numéro 2 de l’Église !). C’était aussi un cavalier accompli (il faisait notamment le trajet Paris-Rome où son oncle résidait). Par ailleurs, Du Bellay souffrait de surdité, comme Ronsard, et de terribles céphalées, symptômes courants de la tuberculose osseuse.  L’analyse dentaire révèla également qu’il a passé une bonne partie de son enfance à Lyon ou Paris : de fait, orphelin, il a été élevé par son oncle, à Paris. Les indices sont donc convergents !

Cette renaissance des restes du célèbre poète de la Pléiade est l’occasion de montrer ce que fut la Renaissance au XVIᵉ s. des lettres gréco-romaines, dans leur dimension imitative et créatrice. Le carmen du poète de Vérone respire la verve épicurienne de la jouissance de la vie, du carpe diem, avec les manifestations physiques de la passion amoureuse d’une Sappho. Rome inspire au poète du Liré la lyrique catullienne pour resserrer le thème autour du temps où doit se concentrer le bonheur des hommes au présent.

Comme Du Bellay, défenseur de la langue française, serait désormais à sa place dans la chapelle royale du château de Villers-Cotterêts, cité internationale de la langue française, récemment inaugurée !

 

Christelle Laizé et Philippe Guisard

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