Chroniques anachroniques – Éclipse solaire ?

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À un moment où l’information fuse de toutes parts, il nous a paru intéressant de l’ancrer dans des textes très anciens, afin que l’actualité et l’histoire se miroitent et s’éclairent dans un regard tantôt ou tout ensemble stimulant et amusé, songeur ou inquiet.

La pupille et le moral des Français ont souffert cet hiver d’un déficit de 50% de lumière. Le soleil se serait-il éclipsé ? C'est effectivement le cas aujourd'hui, lundi 8 avril, en Amérique du Nord à l’occasion d’une éclipse totale de quelques minutes du luminaire céleste. Ce phénomène perturbant pour toute la nature est grandiose, n’est pas rare, mais surprend toujours la conscience et la science humaines. Ainsi Cicéron, entre autres, nous rapporte l’éclipse qui eut lieu le 4 août 431 av. notre ère, quelques mois après le déclenchement de la Guerre du Péloponnèse, guerre intestine entre Athènes et Sparte.

Atque eius modi quiddam etiam bello illo maximo quod Athenienses et Lacedaemonii summa inter se contentione gesserunt Pericles ille et auctoritate et eloquentia et consilio princeps ciuitatis suae, cum obscurato sole tenebrae factae essent repente Atheniensiumque animos summus timor occupauisset, docuisse ciuis suos dicitur, id quod ipse ab Anaxagora cuius auditor fuerat acceperat, certo illud tempore fieri et necessario, cum tota se luna sub orbem solis subiecisset ; itaque etsi non omni intermenstruo, tamen id fieri non posse nisi intermenstruo tempore. Quod cum disputando rationibusque docuisset, populum liberauit metu ; erat enim tum haec noua et ignota ratio solem lunae oppositu solere deficere, quod Thaletem Milesium primum uidisse dicunt. Id autem postea ne nostrum quidem Ennium fugit ; qui ut scribit, anno quinquagesimo et trecentesimo fere post Romam conditam

Nonis Iunis soli luna obstitit et nox.

Atque hac in re tanta inest ratio atque sollertia ut ex hoc die quem apud Ennium et in maximis annalibus consignatum uidemus, superiores solis defectiones reputatae sint usque ad illam quae Nonis Quinctilibus fuit regnante Romulo ; quibus quidem Romulum tenebris etiamsi natura ad humanum exitum abripuit, uirtus tamen in caelum dicitur sustulisse.

C’est un enseignement analogue que donna le fameux Périclès, au cours de la grande guerre où s’opposèrent avec un acharnement extrême les Athéniens et les Lacédémoniens ; grâce à son prestige, à son éloquence et à son intelligence politique, il occupait alors la première place dans sa cité. Comme le soleil s’était obscurci et que les ténèbres s’étaient tout à coup répandues, au milieu de l’immense terreur qui s’était emparée des Athéniens, il apprit, dit-on, à ses compatriotes ce qu’il avait entendu de la bouche d’Anaxagore, dont il avait été le disciple. « Cela arrive, affirmait-il, à un moment déterminé que rien ne peut changer, lorsque la lune se place entièrement sous le disque solaire ; ainsi, sans se produire à chaque nouvelle lune, ce phénomène n’est possible qu’à la nouvelle lune. » Il donna au peuple des explications si rationnelles de ce phénomène qu’il le délivra de la peur. La théorie selon laquelle l’éclipse de soleil se produit, parce que la lune s’interpose, était alors nouvelle et peu connue. C’est Thalès de Milet, dit-on, qui découvrit le premier cette vérité. Plus tard, notre Ennius aussi en eut connaissance, car il écrit qu’environ trois cent cinquante ans après la fondation de Rome

C’est aux nones de juin que furent arrêtés
Les rayons du soleil par la lune et la nuit.

D’ailleurs on applique, en ce domaine, une méthode si ingénieuse qu’à partir du jour indiqué dans l’œuvre d’Ennius et dans les annales des pontifes, on a fixé par le calcul les dates des éclipses antérieures, en remontant jusqu’à celle des nones de Quintilia, sous le règne de Romulus. C’est au milieu des ténèbres de cette éclipse que, d’après la tradition, Romulus, dont la mort fut cependant naturelle, comme celle de tout homme, a été enlevé dans le ciel à cause de sa vertu.

Cicéron, De Republica, I, 16,
texte établi et traduit par E. Bréguet,
Paris, les Belles Lettres, 1980

La réalité de cette éclipse n’est pas remise en doute, mais elle coïncidait avec un moment tragique de l’histoire, où l’attention aux signes est très aiguë chez les Anciens, pétris de croyances religieuses, qui y voyaient une intervention supra humaine. Plutarque, dans sa Vie de Périclès, 35, en fait une anecdote édifiante, puisqu’il montre Périclès, incarnation du logos grec, rassurant le pilote de la trière, en mettant sa chlamyde devant ses yeux et en expliquant qu’il s’est passé la même chose, mais que ce qui a voilé le soleil est plus grand que la chlamyde. En effet, depuis Thalès de Milet, au siècle précédent, la nature du phénomène était comprise et approfondie par les Pythagoriciens : selon eux, les corps célestes ont une figure sphérique, certains opaques, d’autres lumineux, et obscurcissent partiellement ou totalement la Lune ou le Soleil selon leur position par rapport à la Terre. C’est Claude Ptolémée et sa somme astronomique qu’il a pu réaliser par ses observations faites entre 127 et 143 de notre ère (Almageste) que le calcul des éclipses de soleil devient possible (mais non la zone exacte), notamment grâce à la mise au point de tables. La connaissance approfondie depuis le XVIIᵉ s. des astres lunaire et solaire a permis à l’astronome allemand Friedrich Bessel (XIXᵉ s.) de mettre au point une méthode, toujours utilisée, pour calculer les circonstances locales et générales d’une éclipse de soleil.

Pour faire revenir le soleil, pensons à Diogène qui, en 336 av. notre ère, à Corinthe, devant le jeune roi soleil Alexandre, ne bougea pas de sa place, allongé au soleil : « voyant tant d’hommes venir à lui, il se souleva légèrement et fixa ses regards sur Alexandre, qui le salua et lui adressa la parole pour lui demander s’il avait besoin de quelque chose. ‘oui’, répondit le philosophe, ‘trois fois rien, ôte-toi de mon soleil.’

Christelle Laizé et Philippe Guisard

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